Du sac des dames et des clous basques

À Saint-Jean-de-Luz, la maison Laffargue fabrique des accessoires en cuir depuis 1890. Labellisée « Entreprise du Patrimoine vivant » en 2007, elle a, cet été, séduit notre chroniqueur amateur de beauté.

Jean-Pierre Forestier, biophysicien et auteur du blog Beauté, Biologie et Philosophie.

Courriel envoyé à une journaliste de mode :

Chère G.,

Votre parcours à travers les sacs, cette quête d’un sac qui puisse vous faire éprouver un coup de cœur est parfait mais incomplet.

Quand vous viendrez à Biarritz, ce dont je ne désespère pas, je vous accompagnerais à la sellerie Laffargue à Saint-Jean-de-Luz. Une vieille marque hors du temps. Ils fabriquent encore sacs et ceintures sur place ! Qualité Hermès à des prix inférieurs à ceux de Lancel. Et surtout, dirais-je, les formes et motifs (cloutés) permettent aux dames d’avoir un léger sourire de connivence quand elles se croisent sur la côte basque, ou à Paris. Un positionnement social, plus fin, plus subtil, plus « terroir » que celui des grandes marques.

Le sac d’une femme : accessoire indispensable. Quel merveilleux oxymore définissant à la perfection ce que représente son sac pour une femme !

Courriel envoyé le lendemain :

Sac Ttiki Rosace avec les clous typiques de la maison Laffargue.

Chère G.,

J’ai changé d’avis sur Laffargue, n’en parlez pas ! La rareté fait le luxe (je dis plus globalement que le luxe est un « portail vers le divin », mais c’est une trop longue histoire à vous conter aujourd’hui, peut-être quand vous viendrez à Biarritz). Ne parlez pas de Laffargue, laisser, encore un peu, le privilège de ce luxe aux femmes de la côte basque !

Oui, je souscris à votre coup de cœur pour le sac Polène ; l’audace de ses deux petits seins en creux lui donne une promesse de féminité. Laffargue, c’est différent, plus émancipé, plus fusionnel. Non, ne parlez pas de Laffargue, n’en parlez pas tant que vous ne serez pas venu à Saint-Jean-de-Luz vous acheter un sac, pour vous, à la couleur qui vous convienne. Il faudra sans doute le commander car les ruptures de stock sont endémiques. Et nous aurons certainement attendu longtemps qu’une vendeuse soit disponible ; la première fois où j’ai été chez Laffargue, c’était en novembre, la file d’attente allait jusqu’au milieu de la rue Gambetta et empêchait de fermer la porte du magasin. Comme distraction, nous avons eu le passage d’une ouvrière qui revenait de la réserve ( ?) avec un rouleau de peaux noires sur l’épaule et allait vers l’atelier. Dans l’ascenseur du parking un Luzien nous aura expliqué qu’il ne peut pas changer de téléphone portable car il lui faudrait changer l’étui, clouté de Laffargue.

Ensuite vous laisserez passer le temps. Il faut pour une femme que son sac prenne possession d’elle, il faut que quand, le matin, elle hésite sur le sac qu’elle va prendre pour sa journée, elle revienne toujours au même. Et pas seulement pour éviter les transferts ! Alors, alors là, peut-être, dans une sorte d’élan de solidarité féminine vous parlerez, peut-être, sans doute, de Laffargue. Pas comme un conseil, encore moins un coup de cœur, mais comme une confession.

P.S. N’essayez pas d’aller sur le site de Laffargue, il est mal fait, incomplet, les sacs sont mal présentés, les cloutages à peine visibles, et c’est mieux ainsi. Un sac Laffargue ne s’achète pas sur Internet, il se mérite. Je dirais même qu’il donne la merveilleuse occasion de venir au Pays basque.