L’irritant, source du design de Carrefour

Après la création de la première Convention Design de Carrefour en 2017,  signe de maturité de la discipline au sein de l’entreprise, son directeur présente sa réflexion et l’approche centrée sur l’utilisateur, sa création de valeur et son impact sur la performance du distributeur.

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Par Philippe Picaud, directeur du design de Carrefour.

Nous vivons une période de transition… depuis la préhistoire. La vitesse est quant à elle bien nouvelle et résulte de l’accélération de notre volonté de transformation et de notre capacité à le faire grâce aux outils numérique. Cette transformation individuelle prend forme et force collectivement et est exacerbée par l’ouverture du monde.

La mondialisation développe l’aspiration à une expérience sensorielle nouvelle, conduite aussi par la montée de l’hédonisme dans un monde de plus en plus esthétique. Une montée du niveau d’exigence s’opère dans tous les domaines, devenant ainsi notre combat quotidien. Pour y répondre nos entreprises doivent se transformer en industrie culturelle et créative. Culturelle par l’histoire de leur environnement et des codes qu’elles ont su développer ; et créative car c’est un des principaux leviers de différenciation qui permet de satisfaire la quête émotionnelle des consommateurs.

Du comment au pourquoi

Les consommateurs veulent décider, être acteur de leurs choix. Ils attendent de nous une offre visible, lisible et pertinente. C’est en comprenant leurs aspirations avec des méthodes et outils propres au design que nous serons en mesure de les enchanter.

Nous passons donc du comment au pourquoi, nous observons le monde qui nous entoure, les comportements d’usage et libérons notre imagination pour devenir plus pertinent, plus efficace. Une forte dose de curiosité est nécessaire, aujourd’hui facilitée par le numérique. Grâce à internet, chacun est capable de créer son cabinet de curiosité, et d’observer les courants porteurs ou signaux faibles pour orienter son offre ou son choix.

Partir de l’empathie et de l’observation des usages pour nous pencher sur l’expérience de nos clients est une pratique qui informe sur la perception poli-sensorielle de toute chose qui nous entoure.

L’irritant comme opportunité

L’expérience pour nos clients doit être positive et demande un certain niveau de conscience de notre part afin de transformer une expérience négative en action positive. Il s’agit de transformer les irritants en opportunités. L’expérience doit donc se « designer », se projeter. De la même façon qu’un produit, une voiture, est prototypé pour en valider sa forme et sa fonction, l’expérience doit être modélisée après en avoir conçu les éléments principaux. Elle sera ensuite modifiée en fonction des observations réalisées lors du « parcours client ». Sa validité est mesurée par le  niveau de satisfaction des clients, duquel découlent naturellement les résultats économiques. Son évaluation sanctionne l’enseigne, la marque et son image.

Un bel exemple de transformation d’irritant en opportunité est celui de Airbnb, entreprise créée par Joe Gebbia et Brian Chesky, tous deux diplômés de l’école de design de Rhode Island. Ils ont créé un service qui permet de se faire héberger à moindre coût dans des villes à l’hôtellerie saturée : concept du « air Bed & Breakfeast ».

Les produits apportent aussi leur contribution à cette évolution demandée par les utilisateurs : les voitures sont truffées de technologies qui permettent notamment de garer sa voiture sans faire de manœuvre ou de se laisser guider pour aller d’un point à un autre. D’une manière similaire l’équipe de design de Carrefour travaille sur des solutions facilitant la manipulation de nos produits. Nous avons ouvert un Living Lab, véritable appartement, qui nous permet d’observer les usages et de comprendre où et comment les « irritants » sont détournés afin d’en déduire les possibles innovations. Deux illustrations sur le marché : une table à repasser avec double sécurité et un moule à gâteau « trois en un ».

Plier, déplier

La table à repasser Klindo a été conçu pour pallier les craintes des usagers.

Lors de nos échanges avec des utilisateurs, nous avons identifié que la principale préoccupation dans l’usage d’une table à repasser est la sécurité : stabilité de la table et protection, notamment des enfants, étaient réclamés.

Nous avons répondu avec 3 solutions :
– augmenter la stabilité au sol
– colorer et surdimensionner les points d’appuis au sol
– créer un deuxième verrouillage central

Le fournisseur a été « challengé » sur la technique et sur les coûts avec une forte interaction entre leur cellule de recherche et développement et l’équipe design de Carrefour. Le fabriquant, à travers ce projet innovant, a pris conscience de la création de valeur du design et de la différentiation qu’il apporte au marché.
Enfin, le travail des designers produit a été complété par celui des graphistes qui ont développé les housses des nouvelles tables pour offrir un « look & feel » [une image et une perception] cohérent.

Les clients ont bien reçu ce nouveau modèle. Au sein de notre gamme de tables à repasser, décliné sur trois références, il représente 30 % de l’assortiment.

Cake à la carte

Mandine, le moule à cake deux en un.

Les recettes de gâteau se personnalisent et se déclinent en multiples parfums.

Nos utilisateurs nous ont dit : « faire un seul gâteau pour toute la famille, c’est faire un choix d’arômes et d’ingrédients ! »

Lors de la conception du moule à cake, nous avons développé une solution qui permet de varier les goûts : avec le séparateur, il est possible d’avoir deux saveurs dans le même moule ; chocolat pour les enfants et rhum pour les adultes, par exemple.

L’autre « irritant » étant le démoulage du gâteau, nous avons utilisé un fond en céramique qui sert de plat pour le service. Le moule en silicone alimentaire s’ouvre en deux et libère le gâteau, prêt à servir.

Mandine intègre un socle en céramique afin de faciliter le service.

La mise au point industrielle a nécessité plusieurs allers et retours et de multiples tests d’usage avant d’assurer l’étanchéité entre le plat et le moule en silicone de qualifier le produit pour la vente. A un prix de 14,90 euros, dans les standards du marché.