Au familistère de Guise, l’utopie a vécu

L’histoire est parfois ironique : la vie communautaire du Palais social imaginé par l’industriel Godin a pris fin en 1968, il y a cinquante ans. Aujourd’hui, le phalanstère reprend du lustre en musée. 

Par Florence Grivet, architecte.

En déplacement pour une journée en Thiérache,  partie verdoyante du nord de l’Aisne caractérisé par  son paysage de bocages, je décidais de pousser le voyage  jusqu’à Maubeuge. Je souhaitais aller voir ce célèbre « clair de lune« . Hélas, le ciel était couvert et c’est avec tristesse que j’appris que les années avaient effacé le souvenir du film du même nom sorti en 1962 et sa chanson interprétée par Bourvil. Le clair de lune n’était plus la marque de la ville.

Sur le retour, pour pallier ma déception, je décide de revenir sur mes pas et m’arrêter à Guise dans un lieu qui m’avait marquée il y a quelques années : le Familistère, belle création de Monsieur Godin.

Jean-Baptiste Godin est né dans le village d’Esquéhéries en 1817, fils d’un artisan serrurier d’origine modeste.  Après avoir parcouru la France, serrurier à son tour, il dépose en 1940 un brevet pour la fabrication de poêles en fonte de fer. Il développe alors sa propre marque de poêles à bois et charbon et de cuisinières émaillés qu’il produit dans sa manufacture.

Portrait de jean-Baptiste André Godin. Photographie anonyme, vers 1860. Collection Archives départementales de l’Aisne.

Il découvre les théories socialistes de Charles Fourier et ses modèles de communautés idéales, les phalanstère. Industriel de génie, autodidacte et déterminé, Godin décide alors d’expérimenter cette recherche de société harmonieuse avec la construction à partir de 1859 d’un Familistère destiné à apporter une réponse alternative aux cités ouvrières patronales. Le « Palais social », construit à proximité de la fonderie, se compose de plusieurs bâtiments en briques qui abritent les ouvriers comme le patron et proposent toute une série de services destinés au bien-être comme à l’éducation : une buanderie, des magasins, une piscine, des crèches et écoles, un théâtre dans un environnement d’air pur,  baigné de lumière et d’eau. De 1859 à 1884, ces « machines à habiter » ont hébergé 2000 habitants. Les ouvriers participent à la gestion et aux décisions, ils deviennent propriétaires de l’usine et du palais.

C’est une réalisation exemplaire, certains disent « une utopie réalisée » sur laquelle a été écrite une importante bibliographie en vente dans la librairie du musée. Ironie de l’histoire, c’est en 1968 que l’Association du Familistère est dissoute, mettant fin à un siècle de vie communautaire. Il ne reste aujourd’hui plus que cinq familles dans le bâtiment principal.

Aujourd’hui ce patrimoine est exploité par le syndicat mixte du Familistère de Guise, une collectivité publique, propriétaire et administrateur, créée en 2000 pour réaliser le programme Utopia afin de valoriser un lieu laissé trop longtemps à l’abandon. L’ensemble a été peu à peu rénové et se visite comme un grand musée. Une régie de service public industriel et commercial organise événements et expositions.  Le Familistère prépare aussi, comme chaque année, son 1er mai festif.

Sous la verrière du familistère seules cinq familles habitent encore des logements autrefois gérés en communauté.

Commencée l’année dernière pour célébrer le bicentenaire de la naissance de celui qui est considéré comme l’un des pères de l’économie sociale, l’exposition « Des machines au service du peuple, Godin et la mécanique » se tient jusqu’au 24 juin. Elle est nommée d’après le titre d’un petit ouvrage de Godin, La richesse au service du peuple, paru en 1874. Pour lui, le progrès technologique est la promesse d’une transformation sociale radicale, comme il a été la cause d’une révolution industrielle.

Pour le bicentenaire de la marque, le nouveau propriétaire industriel a réédité un « petit Godin », à l’image de son fameux ancêtre (troisième en partant de la gauche).

Côté production, la marque Godin a été rachetée en 1988 par les Cheminées Philippe qui poursuit la production de poêles et maintient l’activité du site de Guise avec 240 salariés. Pour le bicentenaire, elle a ressorti un poêle collector « le petit Godin » datant de 1858, et se remet à produire une cocotte en fonte émaillée. Il aurait cependant pu être intéressant  d’organiser à cette occasion un concours pour un nouveau poêle réunissant des caractéristiques de la marque, de nouvelles techniques de chauffe  et un design contemporain.

L’année dernière, l’entreprise a obtenu le label « Origine France garantie ». « Le poêle est tendance et nous avons pris le virage design depuis plusieurs années, assurait Philippe Gregori, directeur commercial de la société, à la La Voix du Nord, en 2017. Un poêle français sur quatre est Godin : nous détenons 22 % du marché français. Selon une étude commerciale nationale, 76 % des Français connaissent notre marque référence. »

A une heure où l’on reparle de l’esprit participatif, c’est un bel exemple à célébrer que celui d’un visionnaire qui a œuvré pour le bonheur et le bien-être humain.