Crépuscule et Babel

Rencontre avec Christophe Lerouge, président de l’agence de branding Crépuscule, et avec Christian de Bergh, directeur du design et associé de Babel.

Christophe Lerouge, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Christophe Lerouge. Bon, disons-le tout de suite, je ne suis pas designer. Mais je tiens à préciserque dès l’âge de quatre ans j’étais passionné par les marques : le logo Coca-Cola me faisait littéralement rêver ! Quant à mes études  : école de commerce puis MBA à Duke, en Caroline du Nord. Après cela,  je rejoins le secteur nautique, chez Beneteau, pour différents postes en Europe, Amérique du Nord et Australie. Puis, j’ai repris une une affaire familiale dans le domaine de l’édition papier et web. Enfin, souhaitant aller plus avant dans le domaine de la marque, j’ai eu l’opportunité de racheter l’agence Crépuscule en 2008.

C’est compliqué de reprendre une agence de design quand on n’est pas designer ? 
C.L. C’est très simple, en fait, quand on est passionné par le sujet, que l’on a précédemment travaillé dans un domaine assez voisin et que l’agence que l’on reprend dispose d’une équipe de qualité, dont le directeur de création, Olivier Boré, qui était déjà associé au capital et avec qui je m’entends fort bien. Techniquement, la reprise s’est effectuée via un LBO (ndlr  : un Leverage Buy Out est un montage financier qui permet le rachat d’une entreprise par le biais d’une société holding).

Comment se porte Crépuscule ?
C.L. Crépuscule est une agence de branding spécialisée dans le domaine de la cosmétique, implantée à Paris et Singapour. Nous sommes une équipe de 50 personnes, dont 40 à Paris. Nous prévoyons un chiffre d’affaires 2019 supérieur à quatre millions d’euros, réalisé pour 40 % en France et pour le reste à l’international. On voit là tout de suite que l’international est un débouché majeur pour nous. De façon générale, nous sommes sur un trend de croissance raisonnable depuis 10 ans. L’important à mes yeux est surtout que nous avons bien su diversifier notre portefeuille clients, et donc répartir les risques. 

Comment se positionne Crépuscule sur le marché ?
C.L. Crépuscule, à ma connaissance, est en mesure de revendiquer un positionnement unique sur le marché français – et sans doute au-delà – pour deux raisons  : le fait qu’aucune autre agence ne dispose d’autant de clients différents dans le domaine de la cosmétique (environ 50 marques cette année appartenant à une dizaine de groupes français et internationaux), et l’importance de l’activité internationale, qui est une « vraie » activité car nous travaillons pour des groupes non français ne distribuant pas en France. Ainsi, la création de Joylab, marque de makeup, pour un groupe indonésien implanté en Asie, d’une marque indienne, Faces, pour le marché indien ou encore d’une marque allemande, Lov, pour le marché allemand et d’Europe de l’Est.

Votre ambition pour les cinq ans à venir ?
Être encore plus international en abordant d’autres domaines que celui de la cosmétique. Autrement dit, travailler pour toute marque voulant s’exprimer, quel que soit son secteur d’activité. Dans cette optique, il serait logique d’ouvrir des implantation de Crépuscule à New York et Shangai, où sont déjà présents certains de nos clients. En termes de taille, cela nous aménerait à une centaine de personnes.

Un message pour terminer
C.L. Il y a aujourd’hui une explosion de l’offre en matière de cosmétique : les technologies permettent de produire de faibles volumes à des prix de revient acceptables, l’internet via les boutiques en ligne qui facilite la distribution n’importe où dans le monde, à des coûts accessibles et avec une communication puissante et instantanée via, notamment, les bloggueurs ou influenceurs. Si vous ajoutez au tableau un coût de l’argent très bas, vous avez des milliers de projets qui voient le jour en permanence et qui viennent batailler des marchés déjà très concurrentiels. Ma conviction est que l’on va bientôt siffler la fin de la partie, faute de retours sur investissement satisfaisants. Dans ces conditions, un rééquilibrage brutal va avoir lieu, qui verra diminuer drastiquement le nombre d’acteurs et de marques. Les gagnantes seront les marques qui ont un réel « purpose », c’est-à-dire une philosophie forte et du fond, sur la durée. Des acteurs comme Crépuscule ont donc du travail devant eux, car construire ou renforcer une marque dans un objectif de pérennité va demander des investissements de plus en plus importants en termes stratégiques et de savoir-faire, tant artistiques que technologiques.

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Christian de Bergh, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ? 
C.D.B. J’ai longuement hésité entre école d’architecture et école de commerce. J’ai finalement opté pour l’école de commerce, mais j’ai immédiatement rejoint le monde du design après l’obtention de mon diplôme. D’abord chez Lonsdale, puis Dragon Rouge pendant 28 ans, et aujourd’hui Babel. Pour me présenter, j’aime bien dire que  j’ai une vision business de la création et une vision créative du business !

Pourquoi quitter Dragon Rouge après tant d’années ? 
C.D.B. Je suis arrivé chez Dragon Rouge pour créer et développer l’offre corporate (identité, puis identité et architecture). Je me suis toujours très bien senti chez Dragon Rouge : on ne reste pas 28 ans quelque part si on ne s’y plaît pas. Cependant, je voulais passer à une autre approche que celle liée à une vision verticale – grande consommation d’un coté, identité et architecture de l’autre. Je me suis donc demandé si je ne pouvais pas aller vers une démarche mixte, davantage holistique, dans laquelle la vision design s’appliquerait à une multitude d’aspects, de la stratégie au produit, en passant par les RH, la communication, etc. En bref, penser design de façon globale et non pas compartimentée. 

Qu’est-ce qui vous a séduit chez Babel ?
C.D.B. Chez Babel mon intuition immédiate a été que l’apport du design serait positif en matière d’expertise de marque. Et comme Babel dispose dans ses équipes de l’ensemble des compétences métiers liées à la marque, la contribution du design pouvait rapidement se faire sentir. 

Comment se positionne Babel sur sur le marché ?
C.D.B. Babel est la première agence de communication indépendante française, avec 200 collaborateurs. Elle réalise un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros, essentiellement pour des clients dont le siège social est en France. Cela constitue très un beau terrain de jeu ! 

Votre vision du design ?
C.D.B.  La stratégie n’a de sens que si elle peut être formalisée de façon créative. Du fait de sa culture spécifique, le designer sait s’associer à la réflexion stratégique en allant chercher la pureté de l’idée et pousser ensuite à la précision de sa formalisation. J’ajoute que l’architecture et l’aménagement des lieux constituent un langage de marque à 360°, et que dans cette optique le design est un contributeur majeur.

Un message à transmettre ?
C.D.B. Il est nécessaire développer l’architecture pour le bien, pour le sens (concept du nudge), de réfléchir à comment un marqueur architectural est susceptible de faire évoluer les comportements. Les marques « à sens » sont les premières concernées, et il faut les pousser pour qu’elles se transforment dans cette direction.

Un scoop pour terminer ?
C.D.B. Babel lance une nouvelle offre, « Les architectes de Babel », qui consiste en une offre de design architectural sur les lieux de vie, de travail et de commerce.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1132