Tipa : composter l’emballage

Voici Tipa, société de fabrication de films plastique souples compostables. Entretien avec Jean-Pierre Rakoutz, directeur commercial France.

Jean-Pierre Rakoutz, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J-P.R. J’ai démarré ma carrière dans des fonctions commerciales chez Cadbury et Mondelēz. Ensuite, j’ai développé des compétences plus industrielles et techniques en rejoignant Smurfit Kappa où je me suis occupé de grands comptes européens. Après cela, j’ai rejoint Suez, division Recyclage et valorisation, pour proposer à la grande distribution des solutions vertueuses pour leurs déchets. C’est dire que j’ai très tôt été intéressé par le cycle de vie des produits et en particulier leur fin de vie ! Dans cette optique, j’ai rejoint Tipa en septembre 2019.

Quelle est la problématique globale en matière de recyclage ?
J-P.R. Le premier vrai choc, a été la décision de pays comme la Chine de fermer leurs frontières à l’importation de containers de déchets plastiques – motivée par la volonté de ne plus servir de poubelle au monde occidental – et pour lesquels il n’y avait pas ou peu de filières de recyclage, notamment en Europe. Cette nouvelle donne a mis en exergue deux aspects  : la quantité monumentale de déchets générée par la filière des plastiques, et le manque de solutions de recyclage pour ces matériaux. Ainsi, en France, le taux effectif de recyclage des plastiques est de 26 %. Mais ce chiffre masque une hétérogénéité importante : le PET (polytéréphtalate d’éthylène) se recycle plutôt bien avec un taux de recyclage de 60 % et où la problématique est « simplement » de capter la matière – d’où le débat sur la consigne ; quant aux autres plastiques, nous pouvons être sur des taux de recyclage de 4 %, comme sur les films en plastique souple qui ne sont jamais recyclés – voire pas recyclables hors laboratoires. Ce même constat peut être effectué à l’échelle mondiale, avec des chiffres qui varient mais des problématiques identiques. Et si vous avez à l’esprit que le marché mondial du film plastique est évalué à 102 milliards de dollars, vous imaginez les quantités astronomiques qui sont fabriquées chaque année…

Quelles sont les solutions ?
J-P.R. Le recyclage du plastique traditionnel fera de plus en plus appel à des procédés sophistiqués et high-tech – pour aller jusqu’à l’échelle atomique. Cela signifie des unités de recyclage de plus en plus coûteuses et qui ne pourront s’amortir que sur des volumes de traitement importants. Cela qui supposera une tendance à massifier les flux de déchets à traiter, avec quelques unités dans le monde recevant les déchets plastiques de l’ensemble de la planète. Disons que nous entrerons dans une économie, sans doute circulaire, mais avec des mouvements logistiques multiples, ce qui posera d’autres problèmes environnementaux. 

Ce n’est pas la voie qu’a choisie Tipa ?
J-P.R. En effet. En 2010, la fondatrice de Tipa, Daphna Nissenbaum, a constaté que le recyclage classique, même sous une forme évoluée, ne pouvait de toute façon pas être la solution universelle, et qu’il était impératif de proposer des innovations de complément.
Ainsi, elle a estimé que le recyclage via le compostage pouvait tout à fait venir se placer à côté du recyclage traditionnel. Ce point est important  : nous ne sommes pas dans une optique d’opposition. C’est pour cela que Tipa a développé des solutions d’emballage souple avec des propriétés très proches des de celles des films souples transparents traditionnels, c’est-à-dire imprimables, compatibles alimentaire, faciles à sceller et pouvant être travaillés avec les ensacheuses du marché – en bref, tout ce que l’on apprécie dans un pastique « normal », mais en s’affranchissant de ses contraintes spécifiques de recyclage.
La proposition de Tipa consiste en des films plastique souples entièrement compostables après utilisation, dans des conditions et échelles de temps normées et certifiées.

Quelles sont-elles ?  
J-P.R. À ce jour, deux normes de compostage existent  : l’une, pour l’industrie, de type low-tech, avec des cuves, de la chaleur, de l’humidité et des micro-organismes, le tout sur une échelle de temps de compostage de six mois maximum, et l’autre, pour les particuliers, qui relève du même procédé mais à température ambiante et donc sur une échelle de temps de douze mois. Dans les deux cas, le compost est certifié dans sa qualité par des laboratoires indépendants – TÜV et DIN – qui valident que ce compost peut être utilisé à 100 % comme engrais naturel.

Comment fonctionne Tipa ?
J-P.R. Tout d’abord, la fondatrice a passé cinq ans avec ses équipes pour être en mesure de proposer des films plastique entièrement compostables. La société a au départ été financée par la fondatrice et un pool d’investisseur, puis deux levées de fonds successives ont eu lieu, dont 25 millions dollars pour la dernière levée. Depuis 2016, Tipa est en phase de commercialisation dans tous les pays d’Europe occidentale, États-Unis, Australie et Nouvelle-Zélande avec l’ambition d’être le leader mondial de l’emballage à base de film plastique souple compostable. Le siège et la R&D sont au nord de Tel Aviv dans la vallée de la tech. D’un point de vue opérationnel, la production est réalisée en Allemagne et Italie avec des partenaires. Nous ne détenons en effet pas de sites de production en propre car nos notre films sont industrialisables de la même façon que les films traditionnels. On prend donc possession quelques jours par mois des installations de nos partenaires pour y implanter et contrôler la production des films Tipa.

Quel est votre business model ?
J-P.R. Nous travaillons selon trois configurations. Premier cas, nous livrons des bobines brutes à des professionnels de transformation packaging, notamment français, et qui veulent intégrer de l’écodéveloppement. Deuxième cas, nous travaillons en direct avec les marques pour lesquelles nous livrons des conditionnements déjà coupés et imprimés qui viennent alimenter des ensacheuses horizontales ou verticales. Troisième cas, nous livrons des packagings finis pour des solutions de remplissage manuel ou semi-mécanique avec scellage sur le site du client. En termes de secteurs d’activité, nous en avons deux principaux : l’alimentaire et la mode. Pour l’alimentaire, il y a les produits frais ou à faible durée de vie pour lesquels l’emballage compostable est intéressant (la chaîne Waitrose en Angleterre utilise Tipa, par exemple). L’autre segment est le produit sec, dans l’univers du bio, où la promesse packaging doit respecter l’éthique globale du secteur. Une des marques qui nous a fait confiance est Juste Bio qui a décidé de transformer l’intégralité de sa gamme avec des emballages Tipa, à la fois pour alimenter les silos de vrac et également pour les sachets individuels destinés au consommateur. Et nous allons signer avec d’autres acteurs du bio en 2020. Enfin, le surgelé est un secteur intéressant pour nous car le film Tipa réagit très bien aux basses températures. Là aussi, une marque bio va annoncer une gamme de fruits et  légumes surgelés emballés avec des solutions Tipa. Pour ce qui concerne la mode, tout a commencé une rencontre entre la fondatrice de Tipa et de Stella McCartney, ce qui a eu pour effet que tous les articles de la marque utilisent dorénavant nos solutions de films plastique souples. Cela nous a évidemment apporté une grande notoriété dans le milieu de la mode. Pour ce qui concerne la France, Hast s’est ralliée à nous et d’autres vont également arriver en 2020.

Comment arrivez-vous à convaincre les entreprises d’aller vers le plastique souple compostable ?
J-P.R. Il y a d’abord un contexte favorable, lié à une véritable prise de conscience des enjeux de la recyclabilité, tant du point de vue des entreprises que des consommateurs. Dans cette optique, les marques ont la volonté de communiquer au consommateur qu’elles portent autant d’attention au produit lui-même qu’à la recyclabilité de son emballage. Néanmoins, passer aux solutions Tipa suppose quelques efforts : si l’on ne sacrifie rien à la capacité d’exprimer un territoire de marque (rendu très proche de celui des plastiques traditionnels, ce qui est nouveau) et que l’on sait s’intégrer dans un flux industriel existant, l’effort est financier : le surcoût se situe dans une fourchette allant de 50 % de plus jusqu’à trois fois le prix d’un emballage souple traditionnel. Mais ce surcoût doit être considéré en valeur absolue  : le prix de revient de l’emballage compostable par rapport au prix de revient du produit à emballer est de l’ordre « du trait », et surtout, il s’agit d’un investissement marketing permettant de repositionner la marque du point de vue de sa perception par le consommateur (valeur, discours, etc.). 

Le mot de la fin ?
J-P.R. Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui en matière de création et de communication, il y a une prise de conscience qu’il est nécessaire d’allier simplicité et efficacité. Cela signifie, notamment, de ne plus faire passer quantités de messages en utilisant des couches et des surcouches de surfaces de communication. La tendance est plutôt à définir la surface minimale et de la travailler au mieux. Cela nous convient parfaitement !

Une interview de Christophe Chaptal

 Article précédemment paru dans le Design fax 1144