Les grandes ambitions de Creads

Rencontre avec Cédric Gourbault, le président de Creads, qui vient d’injecter 5,5 millions d’euros dans la plateforme pour y développer la production de contenus graphiques, digitaux, vidéos et rédactionnels.

Cédric Gourbault, pouvez-vous vous présenter ?
C.G. Je suis autodidacte et j’ai fait l’ESCP en cours du soir puis un MBA à HEC. J’ai commencé dans l’édition publicitaire chez Group Positiv que j’ai racheté, développé et revendu 15 ans plus tard. À la suite de cela, en 1997, je suis parti en Angleterre pour monter le portail immobilier Explorimmo que j’ai revendu au Figaro. Puis, j’ai créé FlashVisit, site de visualisation virtuelle de lieux et d’objet, avec lequel j’ai pris de plein fouet la crise internet, avec comme conséquence l’impossibilité de faire appel à des fonds. J’ai donc dû me refaire une santé financière – en lançant des affaires dans le facility management, la vente d’abonnements téléphoniques, etc. – jusqu’à ce que je découvre Craiglist dans les années 2004 aux États-Unis. Ce concept m’a donné l’idée de lancer Trefle.com (précurseur en France de leboncoin.fr) portail que j’ai développé et diversifié et que j’ai vendu dans les années 2015. J’ai travaillé ensuite avec La Poste pour créer une offre permettant aux PME françaises de vendre leurs produits sur les plateformes chinoises : La Boutique France. Il y a deux ans j’ai rejoint LER (ndlr : Les Entrepreneurs Réunis), un groupe d’entrepreneurs investisseurs ciblant des entreprises ayant besoin de fonds, notamment du fait d’une croissance non maîtrisée. En septembre dernier, Julien Méchin, l’un des deux fondateurs de Creads, vient nous présenter sa société car il est en opposition avec l’un de ses actionnaires qui bloque toute modification du capital. On l’aide à démêler le conflit, puis je rentre au capital avec comme condition de prendre la direction de l’entreprise dans laquelle je voyais deux opportunités majeures : d’une part l’alchimie entre communication et internet et d’autre part une société en forte croissance, mais sans communication ni marketing. 

Comment fonctionne Creads ?
C.G. Au départ, Creads s’est créée avec la mise en place de concours créatifs pour des clients. Le succès a été immédiat, avec cependant un inconvénient majeur : une tendance, dans les faits, à pousser à la baisse des prix des prestations, même s’il faut noter que la majorité des parties prenantes étaient satisfaites. Il y a deux ans, décision est prise de changer de modèle et de vendre des prestations (production de contenus graphiques, digitaux, vidéos et rédactionnels) à un prix fixé au départ. En matière de positionnement, nous nous définissons comme une plateforme de content design au sein de laquelle nous avons automatisé un maximum de processus (mise en relation avec les créatifs, devis, échanges collaboratifs, traçabilité, facturation, etc.). On peut même effectuer des modifications en ligne et tous les fichiers sont stockés de façon sécurisée. D’autre part, prix et délais sont intégralement respectés et nous payons nos créatifs à 30 jours fin de mois. Nous faisons travailler exclusivement des freelances  : nous sommes en quelque sorte leur « talent agent ». Quant à nos tarifs, ils sont calculés de la façon suivante : les freelances fixent leur prix et nous appliquons notre marge. Cela dit, j’estime que nos tarifs sont souvent trop bas (notamment pour le naming et l’identité de marque) et nous sommes en train de retravailler la plateforme avec des prix variabilisés en fonction du profil et de l’expérience du créatif.

Vous êtes donc un redoutable concurrent pour les agences « traditionnelles » ? 
C.G. J’entends ce que vous dites mais je ne suis pas d’accord. Chacun a son rôle à jouer : peut-être que les agences traditionnelles vont davantage se positionner sur la partie stratégique et nous sur la création (ndlr : il faudrait pour cela que la partie stratégique soit réellement rémunératrice). Cela dit, il est exact qu’en termes de prix nous sommes le plus souvent situés en deçà des agences. Cependant, et pour l’anecdote, sachez qu’un certain nombre d’agences sous-traitent chez Creads, y compris celles qui nous critiquent publiquement !

Comment expliquez-vous le succès de Creads et quelles sont vos ambitions ? 
C.G. Dans un but d’économie, ETI et grands comptes ont commencé à internaliser certains travaux de création graphique. Faisant cela, ils se sont aperçus qu’il ne pouvaient pas tout internaliser et se sont donc tournés vers Creads – raison pour laquelle nous avons quantité d’accords cadres avec des grands groupes (comme MMA, par exemple). Notre développement est rapide et nous visons 100 % de croissance avec l’objectif de réaliser 100 à 150 millions d’euros de marge brute d’ici trois à quatre ans. Pour information, nous venons de recruter des profils expérimentés, en provenance de grosses agences, qui viendront bientôt rejoindre le management de Creads. Nous avons également signé un partenariat avec un réseau social américain qui a besoin de contenus de bonne qualité. D’autre part, nous sommes de plus en plus sollicités, notamment dans les domaines du logotype et du packaging, par des agences leaders en la matière pour établir des partenariats via des participations croisées. Et je note que la crise actuelle intensifie ce mouvement. Mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment…

P.S. Quelques jours après l’interview, le partenariat avec « le réseau social américain » dont il est question plus haut a été officialisé : il s’agit de Pinterest, réseau qui compte plus de 335 millions d’utilisateurs actifs chaque mois à travers le monde.

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L’analyse Admirable Design.

Le parcours, l’expérience et le savoir-faire de Cédric Gourbault indiquent qu’il est impératif de suivre avec attention l’évolution de Creads, d’autant que la plateforme ne cache pas ses fortes ambitions. Cela étant, l’on peut percevoir Creads selon deux points de vue :

Que l’on soit pour ou contre, Creads est une réalité, et il faut l’admettre, car cette plateforme répond à un réel besoin, tant de la part des freelances que de celui des annonceurs. De surcroît, cette réalité s’affirme encore un peu plus lorsque l’on sait que certaines agences sous-traitent chez Creads. Et ne négligeons pas le fait que de plus en plus de talents souhaitent travailler de chez eux, mouvement que la crise liée au Covid-19 ne fait qu’amplifier

Pour autant, il convient de ne pas sous-estimer la possibilité qu’un acteur de ce type se retrouve dans une position de quasi monopole sur certaines composantes de la chaîne de valeur du design – et notamment la mise en relation entre créatifs et donneurs d’ordres ainsi que la gestion de l’ensemble des processus qui en découlent – avec le risque d’une pression tarifaire qui augmente au fur et à mesure que la concurrence se développe et que le marché se durcit

Il revient donc aux agences « traditionnelles » de communication, branding ou packaging de proposer à leurs clients et collaborateurs des modèles économiques alternatifs, pouvant passer par des partenariats avec des acteurs comme Creads – c’est ce qui est apparemment en train de se mettre en place pour certaines agences – mais aussi par la construction de plateformes détenues en propre. 

Dans cette optique, il n’est pas inconcevable que des agences « hybrides » apparaissent ou se développent : des collaborateurs attitrés pour assurer le positionnement, la vision stratégique, la ligne créative et le management de l’agence, auxquels est rattaché un pool de freelances gérés via une plateforme. Mais cela n’est, bien entendu, qu’une hypothèse parmi d’autres…

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1151