A propos des couleurs

Réflexion sur les quatre sens d’une couleur. Et ses conséquences dans le domaine du design. Pour sa part, Gérard Caron voit quatre interprétations bien distinctes d’une même couleur. Le designer doit choisir le sens qui correspond à la nature de son travail, à sa perennité et à sa couverture géographique. Puisqu’on vous dit que design rime avec culture !

La couleur, grande manipulatrice de nos sens

Consacrons quelques instants à la couleur le plus puissant des langages visuels à la disposition du designer : la couleur. Elle influence doublement le sens de la perception, puisqu’elle agit non seulement sur nos référents culturels mais aussi sur notre physiologie. Quelques brèves illustrations rendront ces propos plus clairs.

Placé successivement dans deux pièces l’une peinte en rouge l’autre en bleu, un visiteur déclarera une température supérieure de 4° dans la première (alors, qu’elles sont à température égale, on l’avait deviné) ! La perception par notre système nerveux des couleurs chaudes -rouge, orangé, jaune- a la particularité d’augmenter le rythme cardiaque et par voie de conséquence, élève la température du corps ; les couleurs froides ayant la particularité inverse apportent calme et détente.

Est-ce pour ces causes inconscientes que la couleur la plus utilisée dans le monde financier est le bleu et que le vert est son équivalent dans le monde des assurances ? Qu’est quasiment interdit le port de couleurs vives et chatoyantes à tout homme d’affaire qui se respecte, sans qu’il y ait besoin de lois ni de règlements pour les lui interdire ! ?

La couleur est une grande manipulatrice de nos sens . Autre exemple, qui tenterait à prouver qu’elle induit un goût : en 1996, à la demande des réalisateurs de l’émission Envoyé Spécial d’Antenne 2, j’organise l’émission dans un hypermarché de la région parisienne, pour démontrer le rôle majeur des incitations commerciales auprès du chaland. Je propose l’idée de soumettre quarante consommateurs pris au hasard dans un supermarché, à un choix de yaourts dont la seule variable, inconnue d’eux, serait la couleur : ils devait emporter un pack de yaourts natures après en avoir goûté deux échantillons posés sur une table devant les linéaires. L’un était dans un pot que j’avais recouvert d’une couleur d’un joli bleu ciel, l’autre dans un pot de couleur caca d’oie… Trente neuf des consommateurs cobayes sont partis en emportant les yaourts bleus qui se révélaient être, selon eux définitivement « plus doux, plus onctueux, moins acides, biologiques, etc… ».Bien entendu j’avais utilisé pour le test effectué à la vue de plusieurs millions de spectateurs, la même marque et de la même qualité de yaourt ! La supercherie avouée, ces consommateurs n’en démordaient pas : le bleu était bien le meilleur…

Dans ma carrière, j’ai pu vérifier maintes fois le rôle structurel sur notre champ mental de la couleur. Il est donc vital de ne pas se tromper dans le choix de sa couleur bannière quand on conçoit une identité visuelle d’une marque. Ainsi Coca Cola restera dans le temps une boisson à la vocation tonique ; ce qui ne sera jamais le cas pour Pepsi Cola qui a plus récemment fait le choix du bleu : son domaine est et sera celui de l’espace, de l’eau de la fraîcheur voire, d’une vie de liberté. Et ceci restera vrai quel que soit le thème publicitaire développé par l’une et l’autre de ces marques !

Hypnose et design…

Curieux d’en savoir davantage sur ce pouvoir, fascinant pour tout professionnel de la communication, je me suis penché sur le sujet avec l’aide de neurologistes et sophrologues, en créant en 1988 une cellule laboratoire au sein même de mon agence de design. Les supports de recherches s’appuyaient sur l’analyse des couleurs citées ou utilisées dans les écrits sacrés et les textes fondateurs des civilisations, dans les oeuvres artistiques les plus anciennes des pays européens, asiatiques et américains. Sans oublier, qu’à cela s’ajoutaient des centaines de séances sophologiques que j’organisaient et où les participants s’exprimaient sur la symbolique des couleurs, des mots et des formes des grandes marques pour lesquelles je travaillais…Une fois l’état de conscience atteint, je les faisais réagir non pas sur des événements de leur vie mais sur…des marques.

En conclusion, l’on peut classer la signification des couleurs en quatre grandes familles :

1 – » Le sens de mode « , qui ne dure que le temps d’une saison ou deux (à utiliser par exemple pour les packagings de confiserie d’enfant, produits jetables pour adolescents).Ainsi le vert peut être décrété couleur à la mode pour le prochain hiver…et il ne conservera cette valeur que le temps d’une mode.

2 –  » Le sens sociétal « , ce sont les couleurs de mode qui ont tenu et continuent de représenter certaines valeurs de la société pendant une génération ou plus (recommandées pour les marques de produits courants) : ici par exemple, le vert représente la couleur de l’écologie. Ici le sens peut tenir le temps d’une ou plusieurs générations avant, éventuellement’ de devenir une couleur culturelle.

3 – » Le sens culturel « , lié au pays, aux religions, à certaines traditions (marques de prestige ou traditionnelles).Le vert dans cette catégorie représente la couleur symbolique de l’islam. Ce sens dure le temps des civilisations.

4 – » le sens archétypal « , que l’homme a appris au fil de son histoire, au contact de la nature (marques à vocation universelle). Le vert prend dans cette catégorie son sens le plus ancien et le plus partagé par l’ensemble des civilisations : celui de la re-naissance, du renouveau, de la jeunesse. Je parle ici d’une éducation transmise pendant des dizaines de milliers d’années qui a pris place dans notre mémoire reptilienne. Un exemple illustrera mon propos : sait-on que chaque jour au moment où la lune apparaît, la température de notre corps s’élève imperceptiblement ? Il s’agit d’une trace relevée par les scientifiques américains, de notre peur de la nuit, moment de tous les dangers… Cette découverte m’a longtemps donné à réfléchir sur le sens de notre métier. Peut-on imaginer la puissance qu’aurait une publicité basée sur cette mémoire ! ? Or, notre apprentissage des couleurs est de ce registre là !

Pour conclure ce chapitre, notons que la marque a donc tout intérêt à utiliser la formidable puissance des sens profonds de la couleur qui imprègnent nos systèmes neuro-biologiques ou pour être plus simple, notre système émotionnel ou, pour simplifier encore, à notre mémoire.

Il est évident que manier la couleur demande une certaine expérience de la part du designer, pour ajuster son tir…et aussi du professionnalisme et de la vigilance, car le  » sens mode  » et  » sociétal  » des couleurs évoluent vite . Ainsi avec la saturation des couleurs électroniques des ordinateurs, des jeux vidéo, les jeunes générations s’étalonnent sur de nouvelles gammes de couleurs… Les conséquences sont pour demain.