Pourquoi le design ?

Quel est le sens du design dans notre société ? Gilles Lipovetsky, docteur Honoris Causa de l’Université de Sherbrooke (Canada) et de l’université de Sofia, auteur d’ un essai sur la société d’hyperconsommation apporte sa réponse dans la news éditée par l’agence de design Cltg. Christophe Paymal (Paymal Network) en présente le contenu pour Admirable Design.

Intéressant !

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Paraître ou ne pas être ?

Est-il encore possible de construire pour une marque, des signes durables et repérables porteurs de valeurs et non pas seulement des « solutions » de nature consumériste ?

Gilles Lipovetsky  : Les marques aujourd’hui ne peuvent plus se centrer exclusivement sur les mérites objectifs des produits. Elles doivent se construire en mettant en valeur d’autres dimensions : la créativité, l’art, l’humour, le second degré, l’écologie, le sens, les droits de l’homme.

Les outils strictement marketing ne suffisent plus et le discours des marques doit continuellement se réinventer et se « culturaliser » car, dans la société d’hyperconsommation, on n’achète plus seulement un produit, mais du mythe, du rêve, de l’imaginaire.

Que pensez-vous de ce questionnement pour une agence de design ?
Quel changement à opéré le design dans notre société et a-t-il redonner du sens aux comportements de consommation ?

On n’est plus dans un temps où l’économie s’oppose à la culture, la production de masse à la qualité. Il y a maintenant des passerelles entre ces valeurs. Ces grandes oppositions de l’ère industrielle prennent l’eau car le culturel s’immisce partout, pénètre la marchandise. Par exemple, les « produits partage » ou « solidaires » ont acquis une grande légitimité , les meilleures pub se veulent créatives, les produits grande consommation révèlent d’indéniables qualités esthétiques.

Regardez le succès de l’Ipod qui est en partie dû au design. Le design apporte non seulement une esthétisation du quotidien mais aussi fait évoluer le goût des consommateurs, il change le regard. Le design est à l’origine de nouvelles exigences des consommateurs.

Le design ne se réduit pas à une robe du soir ; son travail sur les formes n’est pas assimilable à un paraître s’opposant à l’être. Il ne doit évidemment jamais négliger la logique du paraître, mais s’il occulte la logique de l’être, il n’est pas à la hauteur de sa vraie mission.

« Paraître ou ne pas être ? » est le titre de qu’a choisi l’agence de design CLTG pour sa newsletter. Pensez-vous que le soin de travailler sur l’apparence est obligatoirement assimilable à une manipulation de l’esprit ou encore rend-il impossible toute expression de vérité ?

On ne doit pas penser le travail sur les apparences comme une manipulation de l’esprit ou une opération condamnable, sinon on reviendrait à l’état d’animalité. L’investissement sur les formes relève plus exactement de la séduction et se donne comme un invariant anthropologique : il s’agit d’une dimension humaine, universelle. Aujourd’hui, l’investissement sur le paraître est indispensable pour pouvoir exister «  mieux ».

Sans séduction des apparences, à quoi ressemblerait notre environnement et la vie ? Comme l’affirmait Stendhal « la beauté est une promesse de bonheur ».
Les aspirations des consommateurs se sont élevées et les gens n’achètent pas uniquement des produits pour leur fonctionnalité mais aussi pour la beauté et l’esthétique qu’ils véhiculent.

Au cours des trois dernières décennies, on est passé d’un confort d’ingénieur à un bien-être qualitatif, sensitif et émotionnel où le design a un rôle majeur. De plus en plus, l’art, les recherches formelles et sensorielles doivent restructurer les produits de grande consommation.

A cet égard, le travail du design est pleinement légitime. Ne perdons pas de vue toutefois que design n’est pas que la cosmétisation des produits, il a une ambition beaucoup plus grande : trouver la meilleure solution formelle -technique répondant aux besoins multidimensionnels de l’homme.

Auteur de onze ouvrages et notamment du « Bonheur Paradoxal », un essai sur la société d’hyperconsommation paru en 2006 chez Gallimard, il vient de publier chez Odile Jacob, « La Culture Monde », un essai sur la société désorientée.