La mémoire et la marque

Peut-être est-il bon de se demander comment fonctionne la perception d’une marque pour en optimiser la conception ? Raphaël Pachiaudi sémiologue et chercheur avec Gérard Caron, s’aventurent dans le système neurologique…

On serait tenté de dire que l’environnement sensoriel de l’homme occidental est saturé ! Trop d’images, trop d’informations, trop de communication et le tout sur un rythme stressant qui va en s’accélérant. Sans compter les échanges numériques du réseau Internet qui ne vont pas calmer le jeu. Le cerveau de l’homme récepteur a-t-il atteint ses propres limites ? Comment faire entendre son message dans tout cela ?

La méthode du marteau

Et la marque dans ce vacarme, qui s’en préoccupe ? Se trouve-t’ elle prise dans cette accélération continue et si tel est le cas, comment peut-on imaginer sa survie ?
En la rendant encore plus présente répondent certains, en la rendant plus forte répondent d’autres. Ce qui revient à dire qu’il faut taper plus et plus fort encore…Ces techniques sont celles des  » megabrands  » qui arrosent la planète à coup de milliards d’euros, de leur omniprésence médiatique. Pas besoin d’être prospectiviste pour deviner les limites de cette méthode du marteau. Je considère pour ma part que trois de ses limites au moins, sont déjà atteintes :

 1- Première limite : les budgets réclamés pour garantir un contact nouveau sont de plus en plus considérables. La surenchère a un coût, pour un résultat proportionnellement décroissant…

 2- Deuxième limite : une hyper exposition médiatique entraîne une attitude nouvelle du consommateur face à ces marques monopolistiques : ils attendent des marques en question, une prise de responsabilité qui dépasse largement leur simple rôle de caution de produits. Il n’y a plus aucune indulgence face aux engagements que la marque est censée prendre (qu’elle le veuille ou non) par rapport à son environnement social, civique, économique, culturel, etc. Cette attitude de radicalisation comportementale du public n’est pas sans représenter des risques pour les gestionnaires des marques difficiles à anticiper.
L’actualité récente nous en donne trois exemples forts : Nike accusé d’exploiter le travail des enfants, Coca Cola face en Europe à une psychose alimentaire aux origines incontrôlable et Total-Fina englué dans une marée noire vendéenne.
Dans les trois cas ces marques n’ont pas su répondre aux attentes émotionnelles du public. Il y a eu déception.

 3- Troisième limite : la saturation est l’ennemi insidieux qui érode l’attractivité de la marque et son pouvoir de séduction. Certaines marques de prestige françaises qui se sont exposées sur de trop nombreux produits et supports ont eu à faire face cette situation ; la difficulté d’établir la barrière entre exposition et surexposition ne concerne pas que le domaine du prestige : toutes les catégories de marques peuvent en être victimes.
Jusqu’à quel point l’homme exposé peut-il percevoir les messages en nombre et les enregistrer ?

Du côté des neurones

Dans mon agence de design Carré Noir, j’ai travaillé avec des scientifiques sur les phénomènes de mémorisation dans l’univers des marques et des produits pour mieux comprendre le phénomène de perception et de mémorisation d’une marque ou d’un produit. Après plusieurs années d’études nous étions arrivés au constat que l’homme occidental moyen était exposé dans son champ de perception quotidien, environ 150 marques, 800 mots différents, 2000 images et 20000 stimulis visuels, ou fractions d’images ! Ceci n’étant pas à considérer comme une limite, mais plutôt comme un seuil de bonne tolérance et probablement d’efficacité publicitaire.

Devant une telle abondance de messages quotidien on pourrait se lamenter de les perdre tout quasiment tous.
Pourtant les recherches neurologiques actuelles tendent à prouver que tout ce matériel n’est pas éliminé mais bien remisé, enfoui dans une poche de notre mémoire et qu’il se tient prêt à resurgir sous l’effet d’une incitation.
Ceci étant dit, notre homme moyen cité plus haut, n’a le souvenir que de 10 marques au maximum, lorsqu’on l’interroge en fin de journée ; dix marques sur un total de cent cinquante…

Il est peut-être temps ici de rappeler une autre règle établie et aujourd’hui largement démontrée : pour qu’il y ait mémorisation il doit y avoir impérativement émotion, aucune information ne peut être mémoriser si elle ne comporte pas une charge émotionnelle.

J’ oserais dire qu’il en est de même des marques.
Or, certaines marques devenues puissantes, à consonnance financière plus que commerciale et souvent apatrides dans l’esprit du consommateur, se sont coupées de la sensibilité de leur public. Il est juste de dire qu’en retour, ce dernier le leur rend bien et qu’il ne se préoccupe plus de leur sort : elles peuvent s’associer, fusionner ou disparaître, les traces laissées sont vite effacées !

Qui se soucie de U.A.P, de Euromarché aujourd’hui ? Alors que des marques disparues mais à plus forte charge émotionnelles laissent des mémoires qui ne demanderaient qu’ à être réactivées : Bugatti, Facel Vega, l’Alsacienne, La Voix de son Maître, etc. Elles ont su émouvoir, apporter de la fierté ou plus simplement accompagner notre nostalgie. Je suis prêt à parier que la disparition d’Apple créerait beaucoup plus de regrets que celle d’IBM ou de Microsoft .

L’imaginaire à ses règles que l’économie ne devra plus ignorer longtemps.

Dans une situation médiatique encombrée, les exemples sont nombreux qui prouvent qu’une dimension affective est indispensable à la survie de la marque. Mieux, cette charge émotionnelle peut accomplir des miracles.

Le président de Virgin, nain parmi les Goliath, a su jouer de ce registre pour résister aux assauts des compagnies aux ressources financières et marketing infiniment plus considérables. Objectivement le jeu était perdu d’avance sans le talent de Richard Branson , communiquant hors pair, qui n’hésite pas à payer de sa personne et à se présenter en héros plus qu’en un moderne arriviste. Avec certes moins de charisme, c’est aussi la voie que choisit le souriant Michel-Edouard Leclerc pour positionner son empire de distributeurs proche du consommateur et de sa vie sociale mais en réalité, aussi redoutablement efficace que les autres ! Quant à Benetton, d’avoir trop joué sur le terrain émotionnel et de façon outrancière en en oubliant le terrain de réassurance produit, lui a coûté sa place de leader dans l’univers du prêt à porter.

Tout est affaire de dosage sur le subtile terrain de l’émotion.

La marque a donc un autre moyen d’expression que celui de la méthode du marteau ! Une méthode sensible, qualitative, probablement plus difficile à mettre en place et plus subtile à apprécier mais qui peut se révéler être tout autant efficace. Nous tenterons de comprendre pourquoi.

La trace de la marque dans notre champ visuel : le logotype

Certaines marques nous font une forte impression et d’autres passent notre champ visuel sans laisser de trace apparente. Je spécifie bien  » apparente  » car en réalité nous avons vu qu’une marque perçue peut s’oublier mais ne se perd pas ; elle se loge dans l’inconscient cognitif qui est celui qui regroupe nos connaissances, nos acquisitions par opposition à l’inconscient émotif qui regroupe nos émotions. Les marques qui captent notre attention se logent dans notre conscient avant de rejoindre l’inconscient émotif, le plus actif.

En conséquence on voit que le premier objet de la marque est de  » distinguer « un produit d’un autre, une entreprise d’une autre, sans craindre le pléonasme disons de  » marquer  » ou de dessiner une trace pour avoir une chance de se faire  » remarquer  » (voyons comme le préfixe de retour  » re  » a bien sa place ici !). Cette trace est d’abord due à l’impact physique de la marque : le logotype. On verra par la suite que le sens de la marque fait trace lui aussi.

Commençons par la trace physique.

Les graphistes ont à leur disposition trois langages visuels principaux pour créer un logotype performant. Je les classe ci-après dans l’ordre décroissant de prégnance :

 la couleur

 la forme

 le mot (la marque)

La couleur, grande manipulatrice de nos sens

Consacrons quelques instants à la couleur le plus puissant des langages visuels à la disposition du designer : la couleur. Elle influence doublement le sens de la perception, puisqu’elle agit non seulement sur nos référents culturels mais aussi sur notre physiologie.
Quelques brèves illustrations rendront ces propos plus clairs.

Placé successivement dans deux pièces l’une peinte en rouge l’autre en bleu, un visiteur déclarera une température supérieure de 4° dans la première (alors, qu’elles sont à température égale, on l’avait deviné) ! La perception par notre système nerveux des couleurs chaudes -rouge, orangé, jaune- a la particularité d’augmenter le rythme cardiaque et par voie de conséquence, élève la température du corps ; les couleurs froides ayant la particularité inverse apportent calme et détente.

Est-ce pour ces causes inconscientes que la couleur la plus utilisée dans le monde financier est le bleu et que le vert est son équivalent dans le monde des assurances ? Qu’est quasiment interdit le port de couleurs vives et chatoyantes à tout homme d’affaire qui se respecte, sans qu’il y ait besoin de lois ni de règlements pour les lui interdire ! ?

La couleur est une grande manipulatrice de nos sens et nous la dominons avec peine.

Autre exemple, qui tenterait à prouver qu’elle peut induire un goût : en 1996, à la demande des réalisateurs de l’émission Envoyé Spécial d’Antenne 2, j’organise l’émission dans un hypermarché de la région parisienne, pour démontrer le rôle majeur des incitations commerciales auprès du chaland. Je propose l’idée de soumettre quarante consommateurs pris au hasard dans un supermarché, à un choix de yaourts dont la seule variable, inconnue d’eux, serait la couleur : ils devait emporter un pack de yaourts natures après en avoir goûté deux échantillons posés sur une table devant les linéaires. L’un était dans un pot que j’avais recouvert d’une couleur d’un joli bleu ciel, l’autre dans un pot de couleur caca d’oie… Trente neuf des consommateurs cobayes sont partis en emportant les yaourts bleus qui se révélaient être, selon eux définitivement « plus doux, plus onctueux, moins acides, biologiques, etc… ».Bien entendu j’avais utilisé pour le test effectué à la vue de plusieurs millions de spectateurs, la même marque et de la même qualité de yaourt ! La supercherie avouée, ces consommateurs n’en démordaient pas : le bleu était bien le meilleur…

Dans ma carrière, j’ai pu vérifier maintes fois le rôle structurel sur notre champ mental de la couleur. Il est donc vital de ne pas se tromper dans le choix de sa couleur bannière quand on conçoit une identité visuelle d’une marque.

Ainsi Coca Cola restera dans le temps une boisson à la vocation tonique ; ce qui ne sera jamais le cas pour Pepsi Cola qui a plus récemment fait le choix du bleu : son domaine est et sera celui de l’espace, de l’eau de la fraîcheur voire, d’une vie de liberté. Et ceci restera vrai quel que soit le thème publicitaire développé par l’une et l’autre de ces marques !

Curieux d’en savoir davantage sur ce pouvoir, fascinant pour tout professionnel de la communication, je me suis penché sur le sujet avec l’aide de neurologistes et sophrologues, en créant en 1988 une cellule laboratoire au sein même de mon agence de design.

Les supports de recherches s’appuyaient sur l’analyse des couleurs citées ou utilisées dans les écrits sacrés et les textes fondateurs des civilisations, dans les oeuvres artistiques les plus anciennes des pays européens, asiatiques et américains. Sans oublier, qu’à cela s’ajoutaient des centaines de séances sophologiques que j’organisaient et où les participants s’exprimaient sur la symbolique des couleurs, des mots et des formes des grandes marques pour lesquelles je travaillais…Une fois l’état de conscience atteint, je les faisais réagir non pas sur des événements de leur vie mais sur… des marques.

En conclusion, l’on peut classer la signification des couleurs en quatre grandes familles :

1- » les couleurs de mode « , qui ne durent que le temps d’une saison ou deux (à utiliser par exemple pour les packagings de confiserie d’enfant, produits jetables pour adolescents).Ainsi le vert peut être décrété couleur à la mode pour le prochain hiver…et il ne conservera cette valeur que le temps d’une mode.

2-  » Les couleurs sociétales « , couleurs de mode qui ont tenu et continuent de représenter certaines valeurs de la société pendant une génération ou plus (recommandées pour les marques de produits courants) : ici par exemple, le vert représente la couleur de l’écologie. Ici le sens peut tenir le temps d’une ou plusieurs générations avant, éventuellement’ de devenir une couleur culturelle.

3- » Les couleurs culturelles « , liées au pays, aux religions, à certaines traditions (marques de prestige ou traditionnelles).Le vert dans cette catégorie représente la couleur symbolique de l’islam. Ce sens dure le temps des civilisations.

4- » les couleurs archétypales « , que l’homme a apprises au fil de son histoire, au contact de la nature (marques à vocation universelle). Le vert prend dans cette catégorie son sens le plus ancien et le plus partagé par l’ensemble des civilisations : celui de la re-naissance, du renouveau, de la jeunesse. Je parle ici d’une éducation transmise pendant des dizaines de milliers d’années qui a pris place dans notre mémoire reptilienne.

Un exemple illustrera mon propos : sait-on que chaque jour au moment où la lune apparaît, la température de notre corps s’élève imperceptiblement ? Il s’agit d’une trace relevée par les scientifiques américains, de notre peur de la nuit, moment de tous les dangers…

Cette découverte m’a longtemps donné à réfléchir sur le sens de notre métier. Peut-on imaginer la puissance qu’aurait une publicité basée sur cette mémoire !

Or, notre apprentissage des couleurs est de ce registre là !

Pour conclure ce chapitre, notons que la marque a donc tout intérêt à utiliser la formidable puissance des sens profonds de la couleur qui imprègnent nos systèmes neuro-biologiques ou pour être plus simple, notre système émotionnel ou, pour simplifier encore, à notre mémoire.

Il est évident que manier la couleur demande une certaine expérience de la part du designer, pour ajuster son tir…et aussi du professionnalisme et de la vigilance, car le  » sens mode  » et  » sociétal  » des couleurs évoluent vite . Ainsi avec la saturation des couleurs électroniques des ordinateurs, des jeux vidéo, les jeunes générations s’étalonnent sur de nouvelles gammes de couleurs… Les conséquences sont pour demain.

Formes et formes

La forme possède elle aussi son propre langage. Des études en cours sembleraient démontrer qu’elles émettent des ondes, tout comme les couleurs. Est-ce pour cette raison ou pour des causes purement culturelles que nous leur attribuons naturellement un sens ? Des formes seront reconnues comme viriles et seront logiquement utilisées par les designers pour la création de logotypes de groupes multinationaux ou d’entreprises à vocation technique, par exemple ; ou pour la conception des packagings de  » drinks énergisants « , de produits de rasage, etc.

D’autres formes sont dites féminines, parce qu’elles sont protectrices, enveloppantes, rassurantes. Elles sont adaptées aux produits laitiers, aux aliments des petits, aux produits cosmétiques, etc. Dans le domaine des marques, elles trouvent naturellement leur place dans les logotypes qui évoquent un art de vivre, un engagement social ou humanitaire. Tout comme pour la couleur, la symbolique de la forme induit notre comportement sans en appeler au raisonnement.

Le langage de la forme est complexe, et peut expliquer certains échecs commerciaux alors que tous les clignotants étaient au vert avant le lancement sur le marché :  » les tests étaient positifs mais une fois mis dans la distribution le produit a été un échec !  »

C’est oublier que l’on fait appel à la rationalisation du comportement des consommateurs où chacun de ses dires est analysé jusqu’à ce que la situation ne laisse place à aucune zone floue. Sorti de ce contexte de laboratoire, le consommateur laisse libre cours à ses instincts et retrouve son comportement d’animal lâché dans la jungle des linéaires.

Je me rappelle le lancement à grands frais d’un parfum pour homme, Macassar de Rochas, à la forme très masculine d’un rectangle long, mais maladroitement positionnées… couchée (c’est à dire que le bouchon était positionné sur le plus grand côté) ! Devant cette création qui me semblait fausse sur le plan de la neuro-linguistique, j’avais manifesté mon scepticisme pour ce symbole d’une virilité peu conquérante. L’échec, prévisible dès le lancement, en a été la sanction.

Pourquoi vouloir contrecarrer notre  » formatage émotionnel  » d’origine, plutôt que de l’utiliser ? N’est-ce pas cela la base la plus élémentaire des techniques de communication ?

J’ajoute pour clore ce chapitre, que la forme support symbolique, peut revêtir plusieurs  » formes  » : illustration, contour d’un produit, typographie d’un logotype de marque, et qu’elle peut se présenter en 2 ou 3 dimensions. Il y a forme et forme mais qui forment un seul et même langage dont beaucoup d’éléments restent encore à découvrir.

On le voit, le champ d’application de ce média particulier, est vaste et que beaucoup reste encore à découvrir.

Le mot de la marque…

Nous avons vu qu’en tant qu’individu notre emprise sur les couleurs et les formes est limitée. Nous pouvons même affirmer que ces deux langages dominent nos sens de perception visuelle en s’adressant directement à notre inconscient, c’est à dire en court-circuitant notre pseudo esprit cartésien… Pouvoir redoutable puisque fondamentalement incontrôlable mais qui bien compris est facteur de succès.

Reste à analyser le sens de la marque en dehors de son aspect visuel. Je veux parler du mot qui la constitue : Poulain, Apple, Sony.

Que l’on me permette de faire part d’une expérience effectuée lors de certaines de mes conférences sur les pouvoirs d’évocation de la marque. Sur l’écran je fais apparaître une planche représentant six logotypes d’une marque de banque inconnue : Bank . Chacun possède son propre style volontairement très spécifique : écriture gothique, classique à patins, alphabet numérique, manuscrit, lettres ultra fines et enfin logotype avec caractères de bandes dessinées. L’audience en choisit trois au hasard et je demande à des spectateurs de me décrire ce que sont d’après eux, l’architecture de la banque et sa clientèle correspondant à chacune de ces trois logotypes. Les résultats, toujours convergents, sont pourtant radicalement différents selon qu’il s’agit de la banque au logotype en lettres gothiques ou celle à la marque en caractère digital ou celle au logotype tout droit sorti d’un album de Tintin.

Logique et enfantin, me direz-vous. Peut-être, mais lourd de conséquences…Qu’est-ce qui autorise ces résultats si variés puisqu’il s’agit d’une marque-inconnue-absolument identique dans chacun des cas ! J’ai bien écrit le mot  » Bank  » à chaque fois : un mot véhiculant un sens que je devrais retrouver dans chacune des descriptions. Or, il n’en est rien, c’est le sens indiqué par la forme qui l’emporte jusqu’à faire oublier le sens du fond : le contenant domine le contenu, jusqu’à le faire disparaître !

On comprend immédiatement qu’une marque a tout intérêt à harmoniser son discours à son évocation perçue. Les hommes de communication et en premier lieu les designers, savent que l’habit fait le moine

Cette expérience amène une question :  » quel est le poids réel du mot lui -même dans le cas d’une marque, puisque l’on peut infléchir son sens ? Qu’elle est sa perception réelle ? « .

On touche ici au principal ressort de la communication visuelle qui prend place entre le fond et la forme.
Attention danger, on avance sur un terrain encore inconnu de tous les livres de marketing, au moins ceux publiés en France.

Raison de plus pour tenter d’aller y faire un tour.

Les neurones de la marque

Commençons par nous débarrasser d’une idée enracinée qui consiste à croire que nous emmagasinons des images toutes faites dans notre mémoire : ainsi j’aurais un ensemble d’images pour Vivendi, PSA Peugeot-Citroën, Danone… Elles se réactiveraient automatiquement quand je suis mise en face d’une manifestation publicitaire d’une de ces marques, extirpées d’un coin reculé de mon cerveau…Il n’en est rien.

Notre système neuronal recompose à chaque fois l’image, par un jeu d’échanges d’une grande complexité. En clair cela signifie qu’une image de marque n’est physiologiquement pas fixe puisqu’elle est recréée à chaque apparition. Qu’il n’y a en conséquence aucune différence pour notre esprit entre une image rêvée ou une image du monde réel ! Les deux sont reconstruite par notre propre processus de perception. On mentalise tout objet de perception par une sorte  » d’œil intérieur  » qui ferait subir un traitement informatique aux images pour que l’on puisse les voir sur notre  » écran personnel  » situé dans la région V21 de notre cerveau, à la base de notre nuque. Nous recréons bien notre monde à chaque seconde. Quelle mine pour nous, gens de communication. Sachons utiliser les neurones de la marque !

Poursuivons dans cette voie. La neurologie nous apprend qu’une information qui a laissé une trace même légère, repassera plus vite la seconde fois et ainsi de suite. De même un choc émotionnel fort creusera un sillon neuronal plus profond. Voilà qui explique l’intérêt de répéter certains éléments de communication immuables d’une marque -le logotype en est un de première importance- mais par ailleurs de les charger de déclencheurs d’émotions. La méthode du marteau ne suffit pas, la dimension qualitative du message est tout autant importante parce qu’elle permet l’effet  » d’amorçage de la marque « .

Je m’explique : une image ou un message répété peut réduire la  » valeur d’attention  » à zéro, c’est à dire l’abaissement du seuil de perception. Quand un message nous devient trop familier nous ne le percevons plus de façon dynamique. Pour exemple ces films publicitaires pour les crèmes glacées qui passent à répétition dans les salles de cinéma pendant des années, non seulement peuvent amener le seuil d’attention à un point nul mais peuvent générer des réactions de rejet !

La conclusion s’impose d’elle même :

Activons sans cesse la mémoire sémantique de la marque (constituée par nos acquis de cette marque) par la répétition, puis par des ruptures pour réamorcer l’intérêt le tout assaisonné d’une charge émotionnelle abondante et juste, sont les ingrédients d’une communication de marque parfaite.

Cette alchimie savante ne peut être réalisée que sur le long terme par des professionnels expérimentés qui sauront jouer des différentes composantes d’une marque aux bons moments.

Et si l’on met en parallèle  » l’effet Hawthorne « , du nom de son auteur, chercheur canadien, qui preuves à l’appui énonce :  » quoi que l’on fasse, dès que l’on apporte un changement dans un espace publicitaire les conséquences en sont positives. Supprimez la musique dans un magasin, les ventes augmentent, mettez de la musique les ventes décollent, changez en le look, le chiffre d’affaires fait un bond… « , on confirme les recherches scientifiques qui arrivent au constat qu’il faut garder des signes de pérennité dans un permanent changement !
La communication de la marque ? C’est terrain à explorer pour ceux qui sont prêts sortir leur tenue d’explorateur…

Bibliographie :

Buser P. (1998) – cerveau de soi, cerveau de l’autre, Odile Jacob

Caron G. (1992) – Un carré noir dans le design , Dunod

Collectif (1999) – Le cerveau et la pensée , Editions des Sciences Humaines

Damasio A. (1995) – L’erreur de Descartes, Odile Jacob

Dennet D. (1993) – La conscience expliquée, Odile Jacob

Norman L. (1980) – Traitement de l’information et comportement humain , Vigo

Pachiaudi R. (1999) – La marque et le cerveau , étude non publiée