Les mystères du design de l’euro

L’euro étant en pleine actualité, je vous propose un retour sur l’origine de son design. Sait-on par exemple, qu’en septembre 1996, dans le plus grand secret, le designer Gérard Caron, choisissait au nom de la France, la maquette des billets de l’euro ?
Admirable Design revient sur ce moment historique…

C’est une exclusivité mondiale ! !

Comment a été choisi le design
des billets de l’euro…

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Comment a été choisi le représentant de la France ?

Chaque pays de l’Union devait être représenté par un expert pour le choix du design de la nouvelle monnaie européenne. Pour assurer toute l’objectivité et garantir une cohérence au groupe, ce choix a été effectué par les membres de l’Institut Monétaire Européen (EMI) à Francfort, parmi trois noms que lui proposait chaque état.
Pour la France ont été proposés les noms d’un philosophe, d’un historien et d’un designer.

C’est ce dernier qui a été sélectionné par l’EMI.

On peut penser que le choix s’est porté sur Gérard Caron pour deux raisons principales. Il était alors président d’une association européenne de design, la Paneuropean Design Association sise à Bruxelles d’une part, et d’autre part dans le sein de son agence, il collaborait avec la Banque de France à la création des derniers billets de banque français.

Cette double expérience européenne et numismatique a probablement été un facteur décisif.

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Exclusif Admirable Design : toutes les maquettes refusées Menu-> Maquettes de l’Euro

Les conditions de l’opération…

Gérard Caron :

En septembre 1996, au siège de l’EMI à Francfort, les treize représentants sélectionnés (le Danemark n’étant pas représenté) se sont retrouvés pendant deux journées autour de la table ronde de la salle des gouverneurs des monnaies européennes (sur la photo : Gérard Caron 2ème à partir de la droite) ; elle est située au sommet d’une tour, transformée en bunker pour l’occasion. Nous étions là pour deux journées…sous haute surveillance.

Nous étions seuls pour délibérer, uniquement accompagnés de trois représentants de l’EMI chargés d’assurer le bon fonctionnement de cette lourde opération.

Des techniciens de l’impression des billets de banque se tenaient dans une salle mitoyenne, isolés de nous par une glace sans tain. Ils répondaient à nos questions d’ordre techniques et étaient les garants de la faisabilité de chaque maquette.

Bien entendu, nous n’étions pas autorisés à emporter hors de la salle de réunion, photocopie, photo ou autre document.

Nous avions eu un document très épais sur les techniques d’impression et de sécurité anti-falsification, à étudier au préalable. Nous n’imaginions pas une telle complexité !

L’euro sera bien protégé mais l’imagination des faussaires étant sans bornes…

La sélection de créations

Les dessinateurs de billets ont été recrutés par les banques émettrices de chacun des pays participants. Ces créations devaient être présentées sur une planche en carton et décliner toutes les coupures de l’euro de 5 à 500 euros (5, 10, 20, 50, 100, 200, 500 euros), rectos et versos, soit quatorze maquettes par planche pour une seule création.

Chaque coupure devait avoir une couleur dominante. Les formats étaient imposés.

Trois thèmes avaient été proposés aux artistes :

les styles architecturaux européens dans l’histoire,

les hommes et femmes de l’Europe aux différentes époques,

les arts abstrait et contemporain.

44 planches ont été soumises aux votes, dont 27 planches pour les deux premiers thèmes, « architecture » et « époques » et 17 pour le thème « moderne/abstrait ».

Bien entendu, les planches étaient anonymes et sans aucune indication d’origine.

Les artistes ont eu une mission particulièrement délicate : aucune création ne devait évoquer un pays particulier ! Pas de tour de Pise, de Tour Eiffel ou Parthenon ! Pas de Victor Hugo, Freud ou Shakespeare ! Sachant que, dans un premier temps, chaque pays possède une surface libre ( 20 %) sur une face, pour y imprimer une symbolique nationale.

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Dans la série des hommes et femmes de l’Europe, nous avons vu des créations qui représentaient des personnages typés mais parfaitement anonymes…

Le thème sur l’art était pour ainsi dire une  » mission impossible  » puisqu’il fallait représenter des peintures et œuvres qui n’évoquaient aucun pays, aucun musée, aucun artiste ! Il y a eu pourtant là, les maquettes les plus originales.

Dans la série sur l’architecture nous avons eu des créations avec des châteaux, des ponts, des monuments qui avaient toutes les caractéristiques de constructions existantes mais…ui en réalité étaient totalement virtuelles !

CP C’est dans cette série qu’est sortie la création gagnante…

La série gagnante

GCAprès chacune des présentation de maquettes, les délibérations étaient ouvertes et chacun exprimait ses opinions. Une note secrète était ensuite attribuée par les différents membres.

L’unanimité n’était donc pas requise. A la fin des deux journées de travail les créations étaient ainsi classées en fonction des notes obtenues, dans chacune des trois catégories.

Les gouverneurs devaient valider officiellement les choix quelques jours plus tard.

Les maquettes de la nouvelle monnaie européenne ont été présentées officiellement au monde en novembre 1997… L’euro était né !

CP La série gagnante (architecture) était-elle votre choix ?

GC

Non, ce n’était pas celle que j’avais d’abord sélectionnée. Elle possède pourtant des qualités :

la mise en page est bien construite, claire malgré les contraintes innombrables d’un billet de banque.

la symbolique est intéressante et universelle : des portes et ponts qui représentent le passage, l’échange, l’ouverture des hommes et des idées entre nations. Dommage cependant que cela ne correspond à aucune architecture réelle…

elle est relativement moderne (dans son dessin quoique peu innovante).

les valeurs des billets sont bien mis en valeur et c’est pourtant une des difficultés de l’exercice,

la gamme chromatique facilite la distinction entre les différentes coupures : 5e = gris,
10e = rouge, 20e = bleu, 50e = orange, 100e = vert, 200e = jaune, 500e = pourpre

Mon choix s’était en premier lieu porté sur des maquettes à la création résolument inédite. Certaines maquettes étaient de véritables révolution dans l’art numismatique : abondance de couleurs, mises en pages inédites, osées ; ceci en particulier dans le thème  » art abstrait/moderne « .

L’Europe aurait alors réellement marqué son temps et il y aurait eu un avant et un après l’Euro dans l’univers des billets de banque. Le dollars lui-même aurait fait figure de billet d’un vieux continent !

CP Le choix eût été audacieux, courageux…

GC

La raison l’a emporté et c’est probablement mieux ainsi. J’ai aussi pensé que le traumatisme dû à la perte de sa monnaie nationale, ne devait pas se trouver amplifié par la présence de billets au look surprenant, sans référence aux monnaies existantes parce que trop innovantes. Le passage à l’euro devait entraîner suffisamment de chamboulements sans qu’il soit nécessaire n’en ajouter un nouveau…

L’Europe, de mon point de vue souffre d’un manque de représentation imaginaire, de symbolique commune auprès de ses habitants. Et aucune grande figure politique actuelle ne remplit ce rôle.

Sans symboles communs un groupe n’existe pas.

Les Européens ont un drapeau, un hymne (mais le savent-ils ?) et maintenant des images communes qu’ils ont dans leurs poches et qu’ils utilisent chaque jour. Cela peut jouer un rôle décisif dans le sentiment d’une appartenance commune, même s’il faut compter avec le temps.

Après tout, le dollar n’est pas devenu symbole de l’idéal américain en un jour….