Le rôle du designer (Part 2)

Christian Guellerin, président de Cumulus- qui regroupe les meilleures agences de design dans le monde- exprime les implications économique et politique dans un système où le design a son rôle reconnu (en France, enfin…) et ce que cela implique les designers…

admirable_design_christian_guellerin-3.jpg

Ecoles de design : de la création à l’innovation

Lire la première partie de l’article

« Redressement productif » : au secours le design…
La Commission européenne vient de publier un petit ouvrage présenté à Helsinki le 17 septembre 2012, résultat d’une réflexion menée par des experts internationaux de l’innovation, intitulé « Design for Growth and Prosperity – Report and recommendations of the European Leadership Board ». L’objectif de cet ouvrage est de promouvoir le rôle du design dans toutes les politiques d’innovation conduites en Europe. Sont présentées 21 propositions pour faire du design une discipline-clé des stratégies publiques en faveur du développement économique.
Bien que générales, ces propositions ont le mérite d’éveiller la conscience des institutions. Il existe un recours aux profondes mutations industrielles et économiques que subissent les entreprises occidentales : l’innovation.

Du rôle de l’éducation…
Il est dommage qu’on n’y présente pas – ou de façon très succincte – le rôle de l’éducation. J’aurais souhaité que l’on parle de l’augmentation des effectifs dans les écoles de design. Pensez qu’à l’université Aalto d’Helsinki, il y a 17 000 ingénieurs et seulement 2000 designers. Au moment où l’industrie ne cesse de perdre du terrain dans sa contribution au PIB des pays européens, combien faudra-t-il demain former de designers, et combien d’ingénieurs ?
En France, aucun gouvernement ne s’est jamais vraiment soucié du nombre de designers à former et pourtant l’enjeu est énorme si nous voulons transformer notre industrie, passer du produit au service, placer l’enjeu du développement durable au centre de toutes problématiques industrielles, et faire en sorte que le développement économique soit au service de l’Homme plutôt qu’à celui du profit.
Il faut espérer que le Ministère de l’Enseignement Supérieur fasse du design une priorité. Peut-être, ce sera celle du Ministère du « redressement productif » dont on espère qu’il sera celui du « redressement créatif », comme l’ont souligné récemment les étudiants de l’Ensci à Monsieur le Ministre Montebourg.

admirable_design-ecole_design.jpg
Ecole de design, apprentissage et entreprise
Il est dommage qu’on ne présente pas non plus dans cet ouvrage toutes les expériences menées en Europe de formations en apprentissage, particulièrement efficaces pour sensibiliser les PMI-PME. Au-delà de son rôle de formation professionnelle des jeunes, l’apprentissage permet d’acculturer les petites entreprises au design, à la création et à l’innovation. Avec le soutien de la Région de Pays de la Loire, c’est plus de 500 entreprises de moins de 250 salariés que l’École de design Nantes Atlantique a sensibilisées au design depuis 5 ans en accueillant un apprenti.
La formation de jeunes designers est un enjeu primordial. Il est considérable, car les designers actuellement formés peuvent être les premiers entrepreneurs d’une économie différente, une économie non plus basée sur les modèles industriels anciens, ni la consommation de masse, modèles occidentaux qui s’essoufflent inexorablement.
Les designers vont jouer un rôle-clé dans de nouveaux types de structures économiques plus flexibles, plus adaptables, plus mobiles. Les entreprises vont devoir réfléchir différemment et adapter leur modèle et leur management à la mobilité industrielle. Non pas celle qui consiste à délocaliser dans les pays asiatiques ou ailleurs, mais celle qui consiste à s’adapter au changement. Les entreprises – comme les Hommes – vont devoir apprendre à changer de métier et développer leur capacité à « faire autre chose » avec « ce qu’elles savent faire ». Ce n’est plus l’expérience qui va garantir la pérennité des entreprises, c’est leur capacité à muter. La capacité à innover et à muter va devenir une valeur de « goodwill » déterminante.

Nouvelle conscience des marchés
D’autre part, le concept de renouvellement de marché qui a prévalu au développement de l’économie de marché va devoir revoir également ses fondements. La substitution de produits par d’autres a soutenu la consommation et la croissance de nos économies au point que « l’obsolescence programmée » a été naguère un concept vertueux. Les designers et les ingénieurs vont devoir réfléchir à des produits qui durent, obligés qu’ils seront par une conscience écologique exacerbée par la recherche de valeur.
Le recyclage, la réutilisation, le détournement vont être dépassés par une conscience de la durabilité des produits. La relance par la consommation chère à certains politiques pourrait être une vertu suspecte. L’émergence du « non obsolescent product » est programmée.
La saturation du marché, conséquente au non-renouvellement de certains produits qui dureront plusieurs générations, renforcera l’obligation pour les entreprises d’être en capacité de muter. Elles le feront d’autant plus facilement qu’elles auront des structures souples, adaptables et de proximité. La capacité à muter pourrait s’accompagner d’une réflexion sur une réindustrialisation de proximité propice aux territoires et aux économies occidentales.
L’émergence des nouvelles technologies a développé la conscience de pouvoir interagir sur la conception des produits et des services.
L’économie de la contribution se substitue à l’économie de la consommation. Le consommateur va intervenir de plus en plus en amont dans la conception des produits qu’il entend consommer. Si le Marketing a régi l’économie de marché, c’est au design et à la conception partagée que reviendra le management de celle de la contribution.
L’ouvrage « Design for Growth and Prosperity » se fait le reflet des profondes mutations à venir. Il place les politiques et les institutions européennes devant leur responsabilité à s’adapter au changement et à promouvoir le design comme discipline stratégique pour réfléchir à demain et construire un futur où l’économie serait au service de l’Homme et non pas du profit. Fasse que ceux qui nous gouvernent le lisent.