Design et éthique #2

Second volet de la réflexion de Christian Guellerin directeur de l’Ecole de Design Nantes Atlantique. Quelle place et quel rôle pour le design dans la vie contemporaine de l’individu et de l’entreprise ? Où placer le designer dans le grand questionnement actuel sur le capitalisme au 21ème siècle ?

Merci Christian pour cet article inspiré, cultivé et qui a du souffle.

Le design n’a pas tant de penseurs que cela. Profitons-en !

3/ Le design, discipline industrielle et marketing
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Mais il faut bien reconnaître que le Design est aussi une discipline économique. Il s’est agi pour les premiers Designers apparus avec l’avènement de la révolution industrielle – révolution du Charbon de l’Acier et du transport Ferroviaire au milieu du 19ème siècle – de retrouver les valeurs des Artistes et des artisans dans la production de masse, probablement pour y retrouver un peu d’humanité, la conscience du travail bien fait, les valeurs de « la belle ouvrage ».

Il s’agit pour le Designer de fabriquer des produits plus utiles, plus fonctionnels et plus beaux. Plus utiles dans l’amélioration et le développement des services qu’ils rendront, plus ergonomiques, plus faciles à utiliser, et bénéficiant d’une forme, d’une image, d’une raison quelquefois qui pourra procurer une sensation de plaisir et facilitera l’appropriation.

L’industrie offre un nouveau champ d’application à la création. Les Artistes créent des objets, les Designers créent des produits.
La notion de produit fait clairement référence au domaine économique. Elle peut être entendue selon deux acceptions distinctes. Si l’on réfère à l’économie de Production, le Produit est le résultat d’un processus Industriel. En Economie de Marché, le produit est l’un des éléments constitutifs du Mix-Marketing. Il est fait pour répondre à un besoin qui sera satisfait par un achat. Et le Design fait vendre, c’est sa fonction.
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Le design suppôt du capital !

Qu’il s’agisse de rationaliser les méthodes de production, ou de la vente de produits, le Design favorise la valeur ajoutée des entreprises et le profit.
Le Design fait vendre : il serait « le suppôt du Capital »…

« Pauvres créateurs qui pensiez le Design éthique et humaniste, vous voilà confrontés à l’opprobre et à la suspicion de la perversion, du mensonge et du superflu ! Vous voilà au service des nantis et du profit ! ».

Le Design est à la mode de la société capitaliste et libérale : plus la concurrence est exacerbée, plus la création est différenciatrice, plus le design permet de se démarquer, de vendre plus et mieux…et d’accumuler encore plus de profit, dans un Monde sans cesse élargi qui devient de plus en plus difficile à contrôler.

Si le Capitalisme est une doctrine basée sur sa capacité à s’auto-enrichir – l’argent produit de l’argent, la richesse produit de la richesse – alors le Design parce qu’il est suspect de le servir uniquement confond son objectif humaniste avec celui du profit.

Si d’aventure, le Capitalisme était soupçonné de ne pas être très moral, quand il permet aux riches de le devenir d’autant plus, et aux pauvres de le rester définitivement en créant les conditions d’un déséquilibre inéluctable, alors le Design ne serait plus Ethique, mais bien perverti par l’Economique. L’ambiguïté est exacerbée quand l’entreprise se sert du Design comme d’un paravent culturel ou éthique pour mieux vendre son image et ses produits. Le Design est un faux nez pour un dessein bien peu avouable.

Alors, comment une discipline, née de l’Economique, et y trouvant sa raison, peut-elle être soupçonnée de s’y perdre ? Cette question est essentielle car elle influence le débat sur l’importance du Design, son rôle dans l’entreprise mais dans lesquelles nous sommes impliqués. Ce débat est particulièrement d’actualité puisque les Chaires d’Ethique se développent dans les Ecoles de Gestion. Il y a même, incongruité magnifique, des « produits de placements financiers éthiques ».

En tant que système économique, « le capitalisme n’a pas de morale, sinon que de s’enrichir lui-même » K.Marx (4)
Il n’a pas de rapport induit entre un quelconque bien ou un quelconque mal dans l’action d’échanger ou de vendre. Echanger des beaux coquillages contre de la nourriture n’a jamais été moral.

Personne, aucun commerçant, aucun chef d’entreprise n’a jamais vendu un produit par devoir, mais toujours et cela est bien normal par intérêt. Pour peu que l’action de vendre soit conforme au droit, la vente n’a de raison qu’à la condition de satisfaire un acheteur. Mais cette action n’a pas de morale. L’action immorale consisterait à voler le client. Mais le client dupé une fois ne revient jamais, et le commerçant perd alors toute capacité à générer du profit. Ce n’est pas par Morale qu’il ne vole pas son client, mais bien par intérêt.

Le Capitalisme ne se nourrit pas de Morale ou d’Immoral , il s’agit là d’un système amoral.

Vouloir avec les « Altermondialistes », les Idéalistes et les Révolutionnaires que, en invoquant le devoir et l’Humanisme, le Capitalisme s’autorégule au nom d’une certaine morale de répartition des richesses est définitivement vain. Ce système d’échange est intrinsèquement et définitivement dénué de capacité à « s’autoréguler » moralement. En revanche, il appartient aux politiques de pallier ses avatars et de veiller, à posteriori et de l’extérieur à la répartition des richesses produites. C’est la mission des politiques que de fixer le Droit à cette répartition.
Parce que dénoncer ce système d’échange est inutile, voire dangereux – que l’on le veuille ou non, les sociétés dont l’économie est basée sur le capitalisme ont généré plus de liberté pour l’Homme que celles basées sur d’autre doctrines devenus vite totalitaires – il nous appartient en revanche de l’encadrer et de légiférer pour une meilleure utilisation des opportunités qu’il offre. Le Capitalisme n’est pas un Humanisme, pas plus que l’Altermondialisme qui pourrait être tenté de jouer le « Moralisateur », en donnant des leçons de devoir aux entrepreneurs de tous les pays.
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Alors quelle place pour le Design ?

L’enjeu est magnifique. Aucun designer ne doit oublier que chaque produit, chaque emballage, chaque image créé est au service de l’Homme qui se l’approprie. Jamais, il ne doit perdre de vue qu’il doit générer du progrès, du confort, du bonheur. Jamais, le Design ne peut avoir pour objectif de générer du profit. Ce serait effectivement se pervertir. Les objectifs du Designer ne peuvent être confondus avec ceux de l’entreprise qui l’emploie. Mais, il ne doit pas s’interdire d’en générer, et bien au contraire. Que peut-on espérer de mieux que de générer du bonheur et de la richesse ? Le profit devient un moyen… et le marché l’occasion d’un échange, une formidable opportunité de diffusion de ce qui est bon et bien. Le marché lui donne même la reconnaissance de son travail et sa justification.

En plaçant l’Homme au cœur de sa préoccupation, Le Designer a la responsabilité de replacer l’Economique au service de l’Homme et non plus au service du profit, qui n’est plus là qu’un moyen. Le Designer devient l’Homme-clé de l’ »Entreprise-Ethique ». Pourquoi avoir créé le vocable « marketique » alors qu’il existait déjà « design » ?

1/ Thomas MORE (1478-1535), philosophe anglais et martyre catholique, « De optimo rei publicae sive de nova insula Utopia » – 1518

2/ Baruch SPINOZA (1632-1677) , philosophe hollandais, « Ethique » – 1677

3/ Emmanuel LEVINAS (1905-1995)

4/ Karl MARX (1818-1883)