Haro sur les tests consommateurs ?

Le marketing ne peut plus faire un pas sans commanditer une batterie de tests en amont et en aval de ses propositions. Subtilement, le travail des agences de design est orienté pour passer avec succès les différentes phases de tests auprès des consommateurs…

Fabrice Peltier, président de l’agence de design P’Reference nous donne son point de vue… critique !

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Quelle direction du marketing oserait encore parler à sa direction générale de sa vision stratégique à moyen et long terme ? Aujourd’hui, et vraisemblablement encore plus demain, pour respecter les engagements de résultats financiers trimestriels, le management des entreprises doit être réactif et immédiat. La question n’est plus de savoir comment faire progresser durablement l’offre de l’entreprise en anticipant au mieux les attentes de sa clientèle, mais de trouver des solutions expéditives pour faire le chiffre et assurer le résultat !

Sonder, tester, re-tester…

Ces grands stratèges du résultat instantané que sont devenues, souvent malgré elles, les équipes marketing, possèdent deux armes redoutables : les sondages et les tests. De plus en plus de responsables de marques font évoluer la présentation de leur offre en s’appuyant sur des résultats de tests. Électeurs comme consommateurs n’auraient qu’à exprimer leurs souhaits aux sondeurs, pour que ceux-ci soient exaucés le plus rapidement possible. C’est sans doute une des raisons pour laquelle de plus en plus de briefings remis aux agences de design sont truffés de citations de consommateurs extraites d’études.
Cette forme de marketing démagogique n’a plus rien d’une force de propositions. C’est aux clients et à la cible potentielle que ce rôle est transféré. Les visionnaires d’hier, ceux qui ont créé sans faire le moindre test les produits qui sont à l’origine des « mégamarques » et des multinationales contemporaines, n’ont décidément plus leur place dans les entreprises qu’ils ont fondées. Désormais, c’est le consommateur qui a les idées. Pour les connaître, il suffit d’enfermer un échantillon représentatif dans une salle de réunion. Les réflexions, les moindres faits et gestes des participants sont enregistrés et observés. Tout est bon à interpréter pour faire germer une nouvelle idée ou la tuer dans l’oeuf. À l’issue de ces réunions, l’institut décortique et analyse tout ce qui s’est passé avec le recul indispensable pour livrer des résultats fiables et élaborer une recommandation d’action qui ressemble à s’y méprendre à un briefing extrêmement directif. Mais ce n’est pas un briefing ! Car c’est à l’équipe marketing qu’il revient de le rédiger pour mettre une ou plusieurs agences en compétition.

Exécuter les idées de l’échantillon représentatif…

Le briefing est devenu un véritable cahier de doléances auquel l’agence se doit de répondre point par point. Dans les faits, le marketing, persuadé que les idées des consommateurs seront gagnantes, demande à ses prestataires créatifs de les exécuter graphiquement. Il n’est plus question de sortir des sentiers battus, la remise en cause est souvent jugée intéressante, mais sans fondement… Les idées nouvelles dérangent, elles sont très rarement retenues, car l’objectif principal assigné à l’agence est de produire des propositions qui vont « bien tester ». En clair, des axes dits créatifs, qui seront acceptables par le consommateur lors de nouvelles séries de tests. En effet, si c’est le consommateur qui propose, c’est aussi lui qui dispose. La cible n’ayant pas changé entre-temps, les propositions graphiques étant parfaitement en ligne avec les attentes émises en amont, pas de mauvaise surprise en aval. Ainsi, le marketing s’est construit une bonne assurance tous risques pour défendre son projet devant sa hiérarchie et dispose d’arguments solides pour rédiger le dossier de presse.

Cependant, cette méthodologie présente un inconvénient majeur. À l’issue des réunions de groupes, les attentes et les idées des consommateurs sont certes assez rationnelles, pleines de bon sens, mais elles n’ont rien d’exceptionnelles et de novatrices. Une autre conséquence est encore plus préoccupante. Les agences ne créent plus pour faire progresser l’image de marque de leurs clients, mais pour gagner des compétitions sanctionnées par des tests. L’originalité des logotypes notamment, leur qualité graphique s’en ressentent cruellement. Le niveau n’a jamais été aussi médiocre. Nul besoin de faire des tests pour le constater !

Vivement le retour du vrai marketing et des bons créatifs !