Jocelyne Le Boeuf : design et art.

Jocelyne Le Bœuf , historienne d’art, est directrice des études à l’École de Design Nantes Atlantique. Ils ont bien de la chance ses élèves… Elle a été choisie par les Editions Autrement pour rédiger une réflexion sur le design des années 1950-2000, dans un livre indispensable sur les arts contemporains. Le design est un art ? Il fallait bien que Gérard Caron lui pose quelques questions…

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GC : Les éditions Autrement viennent de publier un ouvrage « Arts contemporains 1950-2000″qui propose de nous faire découvrir cinquante années de création dont …le design, chapitre dont vous êtes l’auteur. Quels sont les autres ?

JL : Il y a 11 disciplines concernées : architecture, musique, danse, théâtre, cirque, arts graphiques, bande dessinée, design, cinéma, photographie, arts plastiques.
Chaque discipline fait l’objet d’un chapitre distinct, traité de manière identique et qui permet, à travers le développement de cinq thèmes transversaux, de révéler autant de clés ouvrant largement une réflexion sur les pratiques créatives de la seconde moitié du XXe siècle.

L’illustration de quelques dates repères, entre 1950 et 2000, propose une approche également chronologique.

Au lecteur, y compris le non initié, de choisir son propre parcours…

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GC : Est-ce que le design dans ce contexte n’est pas considéré comme un art mineur…

JL : La première ouverture thématique, les rapports entre arts majeurs et arts mineurs, évoque un débat toujours très présent dans le monde du design. Mais de quel design parle t’on ?

Le terme est en effet utilisé indifféremment pour désigner un style, un objet design, une méthodologie de projet ou encore une activité créative facteur d’innovation. Sa fonction la plus communément admise par le grand public est sans doute celle qui le rattache à l’esthétique et à une pratique avant tout productrice de formes.

GC : Et le design dit industriel ?

JL : Dans le domaine du design industriel, la question de l’esthétique appliquée à l’industrie a été effectivement une des branches sur laquelle se sont développées les premières théories ayant accompagné l’évolution d’un nouveau métier. Le design, en tant qu’activité créatrice inscrite au cœur de l’univers industriel, renvoie tantôt à une pratique professionnelle rattachée à l’histoire des arts appliqués, tantôt à un métier où la créativité est mise au service d’une vision globale du projet industriel, depuis la conception jusqu’à la production, dans une vision stratégique et managériale.

Y aurait-il un art majeur du design, représenté par quelques créateurs inspirés liés aux avant-gardes artistiques ?

L’idée d’une avant-garde en design, dominée par la référence aux Beaux-Arts, a-t-elle toujours du sens ?

GC : Vous parlez « des » designs plus souvent que « du » design…

JL : Nous proposons de ne plus parler de design mais des designs : design industriel, design d’  » objets-manifestes « , design interactif, etc. Ces designs recouvrent des pratiques, des savoirs et des outils spécifiques.
La grande nébuleuse actuelle du numérique favorise toutes les hybridations et rend évidente une évolution des métiers du design vers une pensée du projet et de la programmation.

GC : Et les nouvelles technologies ?

JL : Le design à l’heure de la dématérialisation constitue la deuxième  » clé  » proposée dans l’introduction. Y sont abordés les défis méthodologiques et conceptuels introduits par l’outil informatique et les performances croissantes de ses nombreuses applications, en particulier avec Internet.

GC : La mondialisation a quelle influence sur le regard que vous portez sur le design ?

JL : Que l’on soit dans le réel ou le virtuel, la question fondamentale reste la même : pour quels usages ? Le problème posé n’est pas nouveau. Il est fondamental cependant face à la confusion qu’entraîne l’accélération des innovations que l’on a souvent tendance à confondre avec le progrès social.

La postmodernité ou  » modernité tardive  » a largement remis en cause une certaine idée du progrès liée à la globalisation du  » bon design  » du Mouvement Moderne. Les valeurs esthétiques et morales dominantes jusque dans les années 60 ont été largement ébranlées… La troisième clé ouvre sur les axes multiples des recherches actuelles (écoconception, transferts d’innovation apportés par le design dans les pays nouvellement industrialisés,etc.), dans le cadre actuel de la mondialisation et des inquiétudes liées aux crises économiques et aux déséquilibres mondiaux.

GC : L’intérêt de ce livre est cette grande  » mise en chantier  » de tous les thèmes à consulter ransversallement…

JL : Il n’était pas question d’approfondir chacun des thèmes dans le cadre de cette publication mais plutôt d’offrir des pistes de réflexion enrichies par ces regards croisés de plusieurs disciplines sur des thèmes semblables.
Les dates repères entre 1950 et 2000 ont permis par ailleurs à chaque auteur de mettre en avant des étapes historiques significatives, propres à chacune des disciplines.

Arts contemporains sous la direction de Camille Saint-Jacques

Publié par les éditions Autrement et le SCÉRÉN, Paris.

Prix : 44,95 Euros.