La Marque, tout ce que vous devez savoir…

Patrice Civanyan de l’agence Lewis Moberly et Odilon Cabat offre à Admirable Design un texte limpide sur le sens de la marque avec par voie de conséquence, les conditions d’une parfaite protection.

Alors la Marque, un non ? une graphie ? un symbole visuel ? Quel périmètre lui accorder ?

Un article clair et érudit.

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le concile de Nicée

La Marque est un langage protégeable

Une Marque naît de ce qu‘elle montre…

D’un point de vue historique, la Marque est l’héritière de l’Héraldique, la science de l’annonce. Les Anglo-Saxons l’ont bien compris pour qui herald signifie annonceur et le célèbre Herald Tribune, la Tribune des Annonceurs.

D’un point de vue légal, la Marque est un signe distinctif, elle n’est pas un concept. La loi définit la Marque comme appliquée à un objet, c’est donc un signe mixte. La Marque est donc par nature visuelle.

« Une Marque n’est que ce qu’elle montre » pourrait-on avancer. Ce qui spécifie en effet la Marque en tant que telle est visuel. Ainsi lors d’un dépôt de Marque, l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) vous invite à déposer dans l’espace prévu pour le nom, un visuel du nom et non pas un nom seul comme on le fait pour remplir un formulaire.

Dans le cas de Coca-Cola par exemple, la Marque déposée n’est pas le nom seul en tant que tel, mais sa mise en image : logo, chromatisme, forme de la bouteille…

Une marque = une image

Il est donc fondamental de comprendre que la Marque est un nom élevé au rang d’image.

La propriété industrielle se divise en droits de création et signes distinctifs. Les premiers incluent les droits de création techniques comme les brevets, ainsi que les droits de création artistiques comme les dessins ou modèles. Les seconds incluent les Marques, les noms commerciaux et enseignes et les appellations d’origine.

Dans le cas des premiers, le brevet protège la réalisation technique ; le dessin et le modèle protègent des formes strictes. Un écart à la forme ne sera pas considéré comme une atteinte au droit. Le modèle est donc enfermé rigoureusement dans sa forme stricte. Le brevet, le modèle et le dessin sont des monopoles complets.
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Ce n’est pas le cas de la Marque puisque un même produit peut être vendu sous différentes Marques. En contre-partie, la Marque est un monopole symbolique protégé dans un halo de ressemblances. Tout ce qui ressemble à la Marque est la Marque. La Marque n’est autre que l’ensemble de ses usurpations ou confusions possibles. La Marque, à l’inverse du modèle, n’est donc pas protégée dans sa forme stricte mais dans toutes les variations de sa forme.
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Dans le cas des autres signes distinctifs, l’appellation d’origine est un descripteur : elle désigne un lieu fixe. La Marque est ubiquitaire. La fonction de l’appellation d’origine est celle d’une classification naturelle qui suppose des critères de qualité observables. La Marque ne décrit rien, elle n’est pas le descripteur des produits auxquels elle est appliquée. Elle n’authentifie pas une réalité. En allant plus loin, elle n’est pas le nom du produit : elles est caduque si elle se lexicalise. Aussi on ne peut étudier la Marque ni comme un nom ni comme un descripteur.

Si un certain Monsieur Nicolas, dont c’est le patronyme, produit du vin, sa production appartient automatiquement à la Marque Nicolas.

La Marque est donc plus qu’un nom : elle est au dessus du nom. Un nom au dessus des noms est un éponyme, un « donneur de nom ». Ainsi la Marque Danone crée Dany, Danette…

En approfondissant le rapport de la Marque au nom, que voit-on ? Le nom désigne une personne or la Marque n’est pas une personne. On ne peut pas serrer la main de Monsieur Propre. Mr Propre n’est pas une personne, mais une personnification. La Marque est donc un nom « consacré ».

Si on va plus loin, on s’aperçoit que ce n’est pas le nom qui est consacré en réalité, mais sa graphie. Ainsi de fausses lettres imitant la calligraphie de Coca-Cola usurpent la Marque Coca-Cola. De la même façon, une forme de bouteille imitant celle de Coca-Cola usurperait la Marque. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de déposer à l’INPI une graphie du nom de Marque pour enregistrer un dépôt de Marque. En conséquence, la loi oblige la Marque à être une empreinte matérielle. Il ne faut donc pas confondre une Marque avec le nom commercial ou la dénomination sociale dont elle est souvent issue.

La Marque est la graphie d’un nom consacré à la dignité de l’image. En fait, à la dignité de l’icône. C’est le deuxième concile de Nicée en 732 qui, condamnant l’iconoclasme, a autorisé le culte des images. La publicité est un culte des images. Une image qui appartient en réalité au patrimoine symbolique de l’état où elle est déposée. En France, Coca-Cola est une Marque française même si son imaginaire est américain…

De plus, contrairement aux dessins et modèles, la Marque est non seulement protégeable dans sa forme ou image d’origine, mais elle devient également protégeable dans toutes ses ressemblances ! Par conséquent, ce qui est déposable, c’est non seulement un nom, mais une forme, un code stylistique, une matrice créative…C’est-à-dire un signifiant !

Force est de constater que quel que soit l’angle d’approche, la Marque se présente comme un produit ou un service doté d’un langage qui lui est propre et la fonde comme original. L’art de la Marque (à ne pas confondre avec l’entreprise qui la gère) est donc bien d’une certaine façon l’art de cultiver ses signifiants.

Parler couramment et créativement le langage des Marques est le nouveau défi lancé aux propriétaires et gestionnaires de ces Marques.

Parlez-vous couramment le langage de vos Marques ?

Patrice Civanyan et Odilon Cabat