Michel Andrieux : designer et enseignant…

_ Vous connaissez tous les produits dont le design porte sa signature ! Mais son nom vous dit-il quelque chose ? Cherchez bien…

Si l’on vous dit Black & Decker, Brandt, Moulinex, Krups, Seb,Calor, … avouez que là vous avez trouvé !

Admirable Design, avec le micro de Fabrice Langlais était curieux d’entendre la vision de ce professionnel sur le design produit… et l’enseignement de nos métiers. Au fait, comment conjugue t-on les deux ?

admirable_design_michel_And.jpg AD : Vous êtes responsable de l’option design produit dans une école de design . Ca vous sert à quoi, alors que vos titres de gloire professionnels ne se comptent plus ?

Michel Andrieux : J’ai commencé l’apprentissage du métier en 82 avec des entreprises comme Allibert, Bull, Black & Decker. De 88 à 97, j’ai eu la responsabilité du Design au sein du groupe Thomson Electroménager,qui est devenu Brandt par la suite. Avec quatorze marques, on comprend mieux la vision globale que doit avoir le designer au sein de l’entreprise et sa capacité de rayonnement.

Ce qui m’a permis d’occuper la direction du design chez Moulinex et / Seb jusqu’en 2004, en confirmant la vision stratégique que prend le design au sein d’un comité de direction.

AÀ partir de ces expériences qui ont forgés mes convictions et sans perdre le contact avec l’industrie, j’ai eu envie d’en faire profiter les générations de futures designers et c’est pourquoi j’ai accepté la proposition de Strate College Designers d’en diriger le département produit.

AD : Enseigner le produit dans une école de design industriel, c’est transmettre les bases d’un métier mais qui est en constante évolution. Qu’est-ce qui vous paraît aujourd’hui fondamental ?

M.A. : Le produit est au centre de l’enseignement.
J’entends préparer le designer, aux réalités de l’industrie.

Cela se traduit par la notion de bon sens, de sens commun qu’il est important de faire passer à nos étudiants d’un point de vue opérationel.
Armé de ce point fondamental, nous parcourons le produit, le style et la forme, avec méthode et au travers d’exemples concrets avec un sens critique objectif et positif.

Par ailleurs, le métier s’inscrit dans un triptyque : Ingénierie / Marketing / Design, où tous les éléments doivent être de force égale.

C’est au designer de veiller à ce que les pôles soient équilibrés entre eux car il est le seul à posséder un champ de vision globale. Le design permet alors de catalyser la recherche et de redimensionner le sens du besoin. Le Marketing va donner les tendances importantes des marchés. Le designer doit synthétiser, permettre de « vendre » la recherche aux spécialistes du marché et réciproquement.

AD : Donc la synthèse des métiers est la clé d’un produit réussi ?…

M.A. : Entre autre. Mais l’essentiel est de placer l’homme au cœur de la démarche.
Le produit est au carrefour de l’individu et de son environnement.

Une approche marketing focalisera sur les CSP et le prix, l’offre. Ce n’est pas suffisant, voire révolu.
Le consommateur a changé. L’usage, le comportement, les attitudes, le nouveau consumérisme sont les bases que nos élèves doivent savoir capter, décoder.
Auxquels il est désormais fondamental d’intégrer les notions d’environnement.

Nous sommes locataire de notre planète. L’impact social et économique est indissociable de la formation des futurs designers.

Bon sens, individu / environnement, usage / comportement, sont les éléments de bases qui permet à l’élève d’appréhender le produit dans une approche globale.

AD : Dites-nous comment on peut passer du global au stratégique, avec des élèves qui ont 20 ans …

M.A. : Le produit, c’est un vocabulaire de la forme. Donc le support d’un message.
Avec l’expérience, les responsabilités, le designer prendra conscience de la dimension visuelle que véhicule l’entreprise. De ce point de vue, le designer est le garant de tout ce qui touche à l’image. Il se doit de s’assurer que le territoire transparaît dans le produit et que les supports sont cohérents, et non pas en rupture.

Le design doit donner du recul, permettre un zoom arrière que ni l’ingénierie ni le marketing ne permettent.

C’est notre rôle. Pour les élèves, je souhaite leur faire passer que l’humain, l’usage, l’ergonomie sont les fondamentaux du métier. Ensuite, il faut laisser le temps faire son œuvre. La perception de la dimension stratégique va de paire avec la maturité personnelle, cependant il faut essayer de la faconner par un ennoncé visuel entouré d’exemples erreurs comme succès.

Ainsi il n’est pas étonnant qu’ une école de design se soit appelée Strate !
C’est la notion de couches successives, l’agrégation progressive, avec comme base et point de départ, le dessin. Véritable seconde nature du designer, qui au travers de la technique, forme l’œil et organise l’esprit.

Le designer doit avoir un jugement critique, une vision haute, basée sur un savoir-faire artistique maîtrisé. Mais il travaille pour une société de production, de consommation. Nous sommes là pour donner du sens, dans un contexte lucratif.

L’humain est le point de départ. L’usage et l’économie du design nous amène à la notion même de qualité.

A.D. : On doit donc comprendre que la « qualité » c’est ce qui fera la différence dans l’avenir du design produit. C’est bien cela ?

M.A. : c’est ma conviction.

Aujourd’hui, le plaisir est omni-présent dans la volonté de l’acte d’achat.
Plus on va dans l’achat plaisir, plus le designer doit être pointu.

Le consommateur s’implique désormais énormément dans l’acte de consommation et posséde, de ce fait, une culture matérielle forte dont le principal moteur est un ressenti instenctif pour « la qualité visuelle globale »

Le tronc commun, c’est le produit.

Et il est grand temps de le réhabiliter. Avec la standardisation du produit et sa rationnalisation, le design formel s’est banalisé, uniformisé, guidé par le courant unique de quelques stars n’offrant que peu de place à une vision sensible, sensuel, et sensorielle.

D’où l’intérêt d’avoir une vision globale, de réinventer la noblesse du produit.

Il faut que les futurs designers passent de la facture bien réalisée, bien pensée, à un produit de qualité, de facture élevée ; rendant à cet ensemble sa place véritable.

Si avec nos enseignements, l’élève peut comprendre que la qualité, c’est avoir une vision globale. Alors ce sera gagné.

Avec la notion de qualité, c’est la notion de marque, de territoire, de signes et d’éléments distinctifs qui feront la différence dans la production et la consommation planétaire que nous connaissons aujourd’hui.