Renault, un design de parti pris

Renault a opté pour une politique de design fort, expressif, gonflé pour certains. Cela fait débat dans les agences de design et sur la grande toile ! Admirable Design a d’abord demandé à Gérard Caron ce qu’il en pense.

Pour ou contre ?


« Qu’est-ce qu’il leur arrive, chez Renault ? » pour les plus ironiques, « Ouais, je ne sais pas quoi en penser.Il y a des éléments que j’aime et d’autres qui me posent question… »voilà pour les plus dubitatifs, « Renault a fait fort, frappe un grand coup, c’est du Le Quément pur jus ! » pour les plus enthousiastes.

Voilà à peu près les propos que je recueille quand je discute du « créateur d’automobiles » avec mes confrères designers.

Le quantitatif n’a rien à voir dans ces propos purement qualitatifs, j’ai envie de dire que le monde du design se partage en deux : ceux qui disent oui et ceux qui disent non ou, plus prudemment : « on verra… »Sur un site de fans d’automobiles (caradisiac.com), un sondage révèlent que 51 % de votants – sur 3500 votes- ont répondus « bof » à la question « aimez-vous le nouveau style Renault », 49 % ayant répondu positivement. Ceci confirme cela.

Le risque de plaire…

Pour ma part, je considère ces résultats comme extrêmement prometteurs pour la marque.

Je n’ignore pas que Renault a procédé à de nombreux tests d’acceptation dans différents pays. C’est la moindre des choses. Ceci dit, et pour avoir travaillé sur près de 13000 produits dans ma carrière, je sais que les tests n’annoncent pas le printemps systématiquement. La plupart des échecs commerciaux ont été prétestés et testés ! Mais comment s’en passer ?

Les résultats de ces tests n’ont pas pu être à 100 % positifs, voire majoritairement positifs : les sondés préfèrent ce qu’ils connaissent et n’encouragent jamais les innovations de rupture.

Saluons le courage des décideurs de Renault qui ont anticipé l’effet choc d’un design nouveau qui établi standard inédit. Il y a eu l’avant Twingo et l’après Twingo, il y aura l’avant Mégane (qui veut dire lunettes, en japonais !), Vel Satis, Avantime et l’après.

Il serait injuste de dire que Renault est le seul à utiliser le design de cette manière, d’autres en ont compris l’intérêt stratégique : Ford Europe, les futures BMW, Honda dans le passé . Mais Renault est le seul a avoir anticipé le mouvement avec autant de détermination, en partant d’une feuille blanche. Patrick Le Quément dit que la Twingo en 1992, en a été le déclencheur, la preuve que l’innovation dans le design pouvait être salutaire et que le somptueux concept car Initial a été le cliquet de non retour en arrière.

Nous n’allons pas discuter de la nature du design de ces nouveaux modèles : Patrick Le Quement (mais n’oublions pas le président Louis Schweitzer, dont la sensibilité au design a été déterminante depuis son arrivée) s’exprime sur le sujet dans la presse. Retenons pourtant que la politique et la méthode utilisée par Renault est riche d’enseignements pour les professionnels du design et les responsables du marketing.

Comment peut-on arriver à un design de parti pris ?

Une gouvernance visionnaire.

La première condition est de projeter l’image de la marque dans le futur pour en déterminer le positionnement. Comme il s’agit de design, ce travail est particulièrement délicat à mener. Passer de « voitures à vivre » à «  créateurs d’automobiles » est bien plus qu’un changement de slogan publicitaire. C’est le futur de l’entreprise qui est remis en question.

Cela signifie, comme nous l’avons vu plus haut, une détermination du président qui décidera – souvent contre l’opinion conservatrice de membres de l’équipe dirigeante, qu’il faudra convaincre- de faire siéger le design au board. Combien le font ?

Une organisation de projets.

C’est toute l’organisation de l’entreprise qui est à repenser. Le design devient une priorité, un décideur par rapport aux autres départements. Les relations avec les services techniques généralement dominants sont à recomposer et le marketing lui-même doit reconsidérer son mode de coopération avec les designers externes et intégrés.

Une organisation autour de projets ou de mission est souvent adoptée dans les entreprises aux structures lourdes. Cela permet de localiser des groupes réactifs qui ont une entrée transversale avec les autres services.

Une imprégnation permanente au design.

Toutes initiatives permettant d’inculquer un regard nouveau sur les produits doivent être encouragées. Toute l’entreprise doit être moteur du nouvel élan visionnaire de la marque qui décide d’utiliser le design comme fer de lance. Ne sous estimons pas les forces conservatrices qui s’appuient généralement sur d’excellents arguments financiers et commerciaux. L’innovation comporte une part de risques qu’il s’agit d’encadrer au maximum sans jamais pouvoir la réduire à zéro !

Désamorcer l’effet d’ondes de résistance.

Nous avons vu qu’il est indispensable de motiver l’ensemble de l’entreprise au nouveau challenge, mais qu’en est-il du public, des clients ? A priori les choix de l’entreprise ne sont pas sa tasse de thé. Il jugera sur pièce ! L’exemple de Renault est encore intéressant à observer sur ce point. L’opération désamorçage a consisté à présenter de nombreux concept-cars qui annonçaient le style futur et souvent portaient déjà le nom des futurs modèles commerciaux ! La presse se fait alors l’écho de tous les effets stylistiques à longueur de colonnes, éduquant ainsi l’œil des futurs acheteurs.Des fuites bien organisées, des essais, des scoops, tout est bon pour alimenter les médias qui se font ainsi les porteurs du nouveau bond en avant de la marque.

En être ou pas…

Lorsque le nouveau modèle sera dans la rue, une grande partie de réactions de résistance sera tombée. Restera l’esprit de découverte d’un nouveau design, beaucoup plus positif celui-là. De là à dire que toutes les opinions seront favorables…Mais le but n’est pas de convaincre 100 % des consommateurs, mais dans cette stratégie, de marquer fortement son territoire dans un univers devenu hyper concurrentiel, de nourrir d’une manière forte le contenu de la marque qui se banalisait progressivement de la transporter vers d’autres valeurs porteuses dans le futur proche. Et de s’attacher fortement les opinions « pour » par des choix de design dans lesquels elles se retrouvent et qui n’existent pas (encore) ailleurs. Eux, « en seront » par oppositions aux autres qui auront rejeté la modernité, le courage, la jeunesse, le futur…C’est tout ceci qui est inconsciemment distillé par un design de parti pris. Il y a les Alessi et les autres, les Stark et les autres, les Renault (futurs) et les autres. Si le pourcentage de « ceux qui acceptent », reste à son niveau d’aujourd’hui, c’est à dire à 50 %, la partie est largement gagnée.
A condition que les concepts produits tiennent les engagements du design, bien sûr. Mais ceci n’est pas de notre propos.

Le risque de… ne pas en prendre !

L’offre du marché est telle aujourd’hui, que la marque est en perpétuel risque de banalisation et ce rythme s’accélère. C’est ce vilain tour qui arrive Fiat. Outre les problèmes de qualité des modèles, cette marque n’a pas su retrouver sa fraîcheur de design qui prévalait du temps des Panda et Ueno. Un concept attractif, il faut bien le dire, fait pardonner quelques imperfections, ce fut le cas de la Traction Avant et de la DS Citroën. Mais lorsqu’il ne reste que les imperfections à proposer le résultat n’est pas long à se faire sentir.

La clairvoyance de Renault dans ce domaine est à signaler. Alors que ses modèles se vendaient plutôt bien (R5, R25, R19), l’entreprise a projeté un nouveau scénario pour sa marque dont l’aspect le plus visible serait un design de parti pris.

Les composantes du succès…

Le calcul va se révéler juste. Toutes les marques à succès peuvent se targuer de huit composantes incontournables, dont quatre concernent directement notre sujet.

 1- Un code génétique : Renault a su célébrer de façon constructive ses 100 années d’existence et ce, malgré le personnage clé, Louis Renault, pour son rôle contesté pendant la seconde guerre mondiale. Renault met en valeur ses racines liées à l’histoire de l’automobile mondiale.

 2- Un savoir-faire particulier : en prônant les qualités d’innovation, de luxe à la française, etc., la marque revendique un savoir-faire lié à sa tradition mais qui s’inscrit dans le futur de l’automobile. Citroën, par une stratégie aveugle qui a failli lui coûter son existence, a pendant vingt années renié son passé glorieux ; aujourd’hui il n’hésite pas à évoquer les mythes d’hier pour son plus grand profit.

 3- Des signes distinctifs : le design est un de ceux là , et dans l’automibile il est de loin le plus puissant. En imposant un nouveau code unique de calandres (même s’il varie) à tous ses nouveaux modèles, Renault ne fait que rattraper son retard dans ce domaine. Avec le design de parti pris qui est celui de la marque aujourd’hui, Renault utilise à fond cette nouvelle clé identificatrice. Le logo revu par Jean Perret, les concessions redessinées par Dragon Rouge font partie de ce grand mouvement qui traverse l’entreprise depuis une dizaine d’années.

 4- Un langage spécifique Il s’agit là de la communication. A quoi servirait une politique de design ambitieuse si elle n’était pas prise en relais par une communication du même niveau ? Les produits Apple au design communicatif sont accompagnés par un langage immédiatement identifiable à la marque : élégance, ironie, décalage.Que nous réserve Renault dans ce domaine ?

Nous avons la chance de pouvoir observer la mutation d’une entreprise qui a décidé de l’exprimer en priorité par de nouveaux concepts de produits et un design très particulier.

En tant que professionnels nous nous devons d’observer les réaction du public dans les différents pays, les modifications de perception d’image que cela va entraîner.

Et puisque dans Admirable Design nous sommes en priorité concerné par …le design, le talentueux Patrick Le Quément aura nos regards tournés vers lui et son équipe.

Pour ma part, je ne boude pas mon plaisir.

Et à la question : « aimez-vous le nouveau style Renault ? »

je réponds : oui, évidemment…

Gérard Caron