Vers le design transgressif !

Après la vague du principe de précaution, nous entrons dans celle des contrôles et des limitations en tous genres… Au couvert de santé et de sécurité, rien ne nous sera épargné. Nous sommes prévenus, nous sommes dans l’ère de la tolérance zéro ! Cependant, l’histoire de nos sociétés civilisées nous enseigne que c’est durant les périodes les plus restrictives que se développe le goût de l’interdit. Une tendance à la transgression exprimée par le design, serait-elle en train d’émerger ?

L’opinion de Fabrice Peltier le président de l’agence de design P’Référence.

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« FUMER TUE ».

Cette phrase choc, ainsi que quatorze autres toutes aussi sympathiques et fort explicites sur les méfaits du tabac, s’affichent désormais en format géant sur tous les paquets de cigarettes. Ces libellés morbides sont inscrits en grosses lettres noires sur fond blanc sont encadrés par un épais filet noir également. La taille du message, cadre compris, est équivalente à 30 % de la hauteur de la face avant de l’emballage et à 40 % pour les autres messages au verso du paquet. Le législateur européen a bien fait son travail…

Fumeurs et non-fumeurs, personne ne peut passer à côté de l’avertissement, on ne voit que ça ! Ces pavés informatifs, destinés à préserver la santé publique, ont un impact visuel souvent beaucoup plus fort que celui de la marque et du décor de son packaging. Il faut dire que Raymond Loewy, Jacno, et autres designers n’avaient pas créé le graphisme des étuis de cigarettes en tenant compte de cette contrainte initiale.

Cependant quelques mois après la mise en application de cette mesure, des questions se posent. Nos hommes de loi n’ont-ils pas été trop loin en imposant une contrainte graphique aussi forte et normée ? N’ont-ils pas joué les designers sans le vouloir et créé un nouveau code visuel de communication propice à tous les détournements, pour faire passer des messages forts, voire anxiogènes ?

Les premiers exemples d’appropriation apparaissent.

Courant décembre 2003, des annonces presse et des affichettes déclaraient : « MANGER TUE », inscrit dans la même typographie, en noir sur fond blanc, avec un même cadre noir. Il s’agissait en fait d’une campagne de publicité pour le numéro 686-687 du magazine Courrier International. La couverture du journal était construite à la manière d’un paquet de cigarettes, avec comme message d’avertissement, le titre d’un article de 6 pages sur les méfaits de la « mal-bouffe ». Il paraît que la mauvaise nourriture tuerait plus que le tabagisme…

La marque Xylophène, spécialiste des traitements pour bois, vient elle aussi d’utiliser le même principe graphique pour sa communication : « TRAITEZ VOS BOIS AVANT QU’IL NE SOIT TROP TARD », peut-on lire en bas de ses frontons promotionnels et balisages linéaire. Le message est clair, les traitements Xylophène tuent eux aussi !

Les copies pourraient bien se démultiplier…

Le caractère unique et la reconnaissance immédiate de ce principe graphique s’apparentent à ceux de l’écriture de Ben. Nous retrouvons aujourd’hui cette calligraphie enfantine déclinée sur une multitude de supports dans un grand nombre de boutiques de cadeaux et de souvenirs. Les objets dérivés se multiplient, ils portent leur lot de messages humoristiques qui restent néanmoins toujours politiquement corrects.

À l’instar de l’exploitation systématique de l’œuvre de Ben, il y a fort à parier que nous verrons bientôt un grand nombre d’objets et de vêtements qui porteront des sentences, elles beaucoup plus provocatrices, inscrites suivant le même modèle graphique que les paquets de cigarettes. Et devenir à n’en pas douter, très rapidement un principe d’expression graphique à la mode. Il faut bien qu’en ces temps difficiles, dérision et contestation puissent librement s’exprimer …
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Côté packaging…

… nous observons également l’apparition de quelques nouveautés qui jouent délibérément le registre de la transgression. Le produit américain « Stacked Style » par exemple. Il s’agit de petits flacons de la taille d’une cigarette qui contiennent de l’huile parfumée. Ils sont conditionnés par vingt dans un étui de cigarettes « flip-top-box ». Leur nom : les Scentarettes, « tobacco free » évidemment !

La consommation d’alcool est, elle aussi, à juste titre, largement montrée du doigt ces derniers temps. Désormais, si nous souhaitons prendre le volant, nous ne sommes pas loin de la belle époque de la prohibition. Nul doute que cette nouvelle restriction provoque quelques réactions de résistance pour ceux qui pensent qu’il s’agit, là encore, d’une nouvelle atteinte à leur liberté.

En signe de protestation, ils peuvent toujours porter autour du cou la bouteille allemande de Zeil-Wasser.

Plus que transgressives, certaines de ces nouvelles créations se montrent un tantinet provocantes.

Elles sont les premiers signes annonciateurs d’une nouvelle tendance. Celle d’un design plus rebelle, au service d’une forme de contestation et d’insoumission.