Landor : stratégie, création et data

Luc Speisser, récemment promu global chief strategy and innovation officer de Landor, nous en dit plus sur cette fonction et en profite pour faire le point sur ses ambitions.

Luc Speisser, en quoi consiste votre nouvelle fonction de global chief strategy and innovation officer de Landor ?
L.S. Auparavant, quelques éléments de contexte. J’ai été président de l’agence en 2005, puis président des agences de Paris et Genève sur le postulat de l’excellence stratégique et créative. En 2019, je suis devenu président Europe lors de la fusion avec Fitch, avec l’idée qu’il fallait absolument ajouter le développement durable comme un avantage compétitif et travailler sur des innovations en conséquence pour maximiser les avantages concurrentiels de nos clients. Nous avions deux options : acquérir cette compétence par croissance externe, ce qui n’était pas du tout évident, soit l’intégrer dans la culture Landor + Fitch pour donner à tous nos collaborateurs, quelles que soient leurs fonctions, la possibilité d’investir 10 % de leur temps de travail à innover proactivement dans l’innovation durable. Ce fut l’opération Good Squad que nous avons déployée au niveau mondial avec mon job de chief innovation officer. La Good Squad a été un vrai élément unificateur avec des niveaux d’engagement à la limite de scores soviétiques ! Aujourd’hui je cumule par conséquent la stratégie et l’innovation avec une équipe de plus de 150 personnes. Pour mémoire, Landor compte actuellement 1300 personnes.

Quels sont vos objectifs ?
L.S. Concernant la stratégie, mon but est de continuer à pousser l’excellence de Landor dans ce domaine, ce qui signifie innover sur la façon de faire de la stratégie. Il ne s’agit pas d’une démarche en chambre : le propos n’est pas d’exister en tant que tel, mais de se mettre au service du business des clients en alliant l’excellence créative. Il est important de comprendre les vrais problèmes des clients, pas toujours formulés dans le brief, et d’y répondre dans une optique de Champions League. J’avais d’ailleurs produit une courbe où je montrais la corrélation entre les prix créatifs de premier ordre de  type Cannes Lions et la profitabilité de l’agence. S’il n’y a pas une relation logique en tant que telle, on peut y voir une véritable relation humaine. De surcroît, meilleur on est, plus les clients sont prêts à payer. Pour ce qui concerne la création de nouveaux outils, Landor est pionnier dans le branding design avec une pensée et une pratique holistiques de la marque. On sait connecter la stratégie business à la stratégie de la marque. Au-delà, il faut unifier ce que la marque dit avec que la marque fait, raison pour laquelle Walter Landor avait coutume de dire “Une marque est une promesse et une grande marque est une promesse tenue”. Une marque c’est avant tout une promesse et tout en découle. C’est notre force d’établir une connexion unique entre la promesse, sa mise en œuvre via le design, et le fait de la tenir dans le temps avec les produits et services, les lieux réels ou virtuels ainsi que les personnes, tant clients que collaborateurs, qui tous sont concernés par l’expérience de la marque, sur la façon de la recevoir ou de la délivrer. Nous fonctionnons comme cela depuis le début : rappelez-vous FedEx avec cette flèche entre le E et le X. Mon job est de pousser cela encore plus loin et d’y injecter des hormones de croissance, grâce notamment à notre capacité d’établir une approche multisensorielle. On a aussi considérablement amélioré nos outils de mesure de la marque et on a pu constater que la force d’une marque est constituée à la fois de sa pertinence et de son degré de différenciation, ce qui permet croissance et politique tarifaire ambitieuse. On a chez nous des analystes qui sont capables de prédire l’impact financier de toutes les décisions de marque que l’on va proposer à nos clients. C’est d’ailleurs aussi l’une de mes missions de mettre la data au service de l’audace. Car, si tout le monde veut innover ou faire des choix audacieux, il est nécessaire de le faire en ayant l’assurance du résultat économique qui va en découler. Cela s’est encore manifesté sur un récent cas d’innovation qui a permis d’aller sur la proposition la plus folle, qui concernait des revenus de plusieurs centaines de millions de dollars par an. Une de mes missions est aussi de désiloter, contrairement à ce qui pratique dans nos métiers. J’avais dans cette optique créé des triumvirats en cassant le chaînage traditionnel. Toutes les parties prenantes essentielles doivent être présentes au moment du brief afin de poser les bonnes questions. Le responsable client seul ne saura y parvenir lors du brief client. Enfin, je vais booster l’innovation. Après la stratégie (la promesse), le faire (qui intègre aussi de la stratégie), il y a en amont la partie innovation que je vais amplifier, car la stratégie non appliquée n’est qu’un PowerPoint et une création sans stratégie un poulet sans tête. Quand j’avais pris mes fonctions d’innovation, j’étais parti sur le développement durable. Au-delà, on a vu que 90 % des innovations lancées meurent avant l’âge d’un an. Et ce chiffre n’a pas varié depuis 30 ans. On a regardé l’évolution des méthodologies d’innovation durant la même période : elles n’ont pas évolué non plus. C’est toujours de la customer centricity : des besoins non assouvis ou des business models qui n’ont pas été exploités. Tout cela c’est bien, mais il faut y ajouter un grain de folie, une volonté forcenée de différence, sinon on n’y arrivera pas. Pour terminer sur ce chapitre, deux mots sur la mesure de l’impact d’une innovation dans toutes ses dimensions. En effet, dans un monde de plus en plus fragmenté avec en moyenne 3000 façons de rencontrer la même marque, la notion de cohérence est fondamentale et, par conséquent, la mesure précise de chacune des dimensions d’une innovation est déterminante. Pour cela, nous utilisons l’intelligence artificielle pour gouverner la marque de façon la plus intelligente possible.

Un message pour terminer ?
L.S. Je vis ma fonction avec deux principes clés : la stratégie c’est le pourquoi et l’innovation c’est le pourquoi pas. Chez Landor, on est outillés pour travailler selon cet angle, avec cette capacité à pivoter en fonction de la projection des résultats business. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1346