L’héraldique, racine du logotype moderne

Michel Disle est un de ces très rares grands designers de logotypes (en autres) qui possède une profonde culture de l’héraldique,science des armoiries et des blasons. Admirable Design lui a tendu son micro…

L’Armoirie et le Logotype – des parents très proches qui s’ignorent…

On le sait, logotype est l’expression graphique d’un nom, d’une marque.

Étymologiquement c’est le graphisme du mot, du nom. Il est traité en deux grandes familles avec toutes les variantes possibles.

La première, découle directement de la signature ; c’est une certaine écriture personnalisée, comme Coca-Cola, Ford, Davidoff. Ou comportant un  » accident visuel « , ex : le R à l’envers de Toys R us.

La seconde, associe un symbole plus ou moins figuratif au nom.

Ce signe provient de différentes sources symboliques ou illustratives, mais dès que l’on veut avoir de la force, du statut, ou du prestige, ce symbole vient de l’héraldique, Jaguar, Porsche…

L’apport de l’héraldique à notre monde actuel de signes est immense.

L’héraldique est fortement présente dans de nombreuses marques automobiles : Peugeot, Renault, Citroën, Mercedes, BMW, Audi, Alfa Romeo, Ferrari,
Saab ou dans les compagnies pétrolières, Shell, BP, Chevron , et aériennes, Air France, Lufthansa, SAS, JAL, Swissair.

Son secteur privilégié est le luxe, le tabac, les alcools, Marlboro, Carlsberg, Lowenbrau, Kronenbourg, Guiness. À l’opposé on retrouve l’héraldique pour exprimer la force, l’impact. Ainsi il en est de la croix catholique et le croissant rouge, de la croix de Lorraine et des étoiles de l’Europe. Et que dire de la puissance dramatique de la croix gammmée et son système héraldique aussi fortement utilisé pour le mal ?

Comment s’explique la force et la pérennité d’un code graphique qui vous dit avec simplicité et impact, que vous êtes dans un sens interdit (en langage héraldique : de gueules à la fasce d’argent) , que vous arrivez à un croisement (d’argent au sautoir de sable), que voici venir la délégation française (tiercé en pal d’azur, d’argent et de gueules) ou la japonaise (d’argent au tourteau de gueules) ou qui dit avec raffinement que Sa Gracieuse Majesté, la Reine Elisabeth, se fourni chez Harrods ?

Quel graphiste aujourd’hui serait assez léger pour ignorer ce code graphique élaboré au XIIe siècle en France et en Europe, et pendant le même temps au Japon ? Créé pour des gens qui ne savaient pas lire, qui devaient comprendre vite, il permettait de savoir à qui l’on avait à faire, sous le heaume dans les mêlées du Moyen-Ãge : ami ? ennemi ?

C’était une question de vie ou de mort !

L’héraldique est un  » alphabet «  comportant quelques règles simples :

Le contraste de quelques couleurs absolues, sans nuances ;

un bleu, l’azur – un rouge, le gueules – un noir, le sable – un vert, le sinople placés sur un fond jaune ou blanc, l’or ou l’argent.

Ou bien l’inverse, le blanc et le jaune sur une couleur.

À cela s’ajoute des fourrures, l’hermine et le vair et c’est tout.

Des partitions géométriques : coupé en deux, parti – coupé en quatre, écartelé – en huit, contre écartelé etc.

 Une forte stylisation des symboles, les meubles, animaux ou objets, peu d’humain, représentés de profil ou pleine face, sans nuances.

C’est un système simple basé sur le contraste, avec un langage descriptif codé, le blasonnement. Lorsque l’on pénètre dans ce monde de signes et d’histoire, c’est la découverte d’un héritage, d’un patrimoine, toujours d’une richesse et d’une actualité que l’on ne peut pas soupçonner !

C’est également une quête, parfois difficile, exigeante, mais qui vous le rend bien.

Ce sont des portes qui s’ouvrent. Place à l’image…

Merci, Messieurs les Hérauts !

Création de l’Emblème personnel de M. François Mitterrand président de la république, 1981

La mission qui nous avait été confiée, à Gérard Caron et à moi-même, par le président de la république fut notre plus grand challenge des années 80. Ce fut l’occasion de mettre en pratique mes connaissances héraldiques.

Mais il ne fallait pas faire du « vieux  » ; certains avant nous, avaient connus l’échec auprès du président.

Le symbole devait avoir des racines (sans vouloir humoriser sur le choix de l’arbre) mais le traité devait être stylisé-moderne.

L’arbre était un symbole, qui d’emblée, plaisait à François Mitterrand. Mais quel arbre ? L’olivier était trop méditerranéen, le cèdre faisait libanais !

Or, je savais qu’en France, dans symbolique républicaine, on trouvait l’association de végétaux : le laurier ou la palme, pour la gloire – le chêne, pour la justice, le corps préfectoral et l’armée – l’olivier, pour la paix. On les trouvait dans le sceau de la République, dans les monnaies et médailles, à la Légion d’Honneur, à la tribune de l’Assemblée ou du Sénat.

Aussi, pourquoi ne pas faire un arbre composé de deux essences ? Ce qui est tout à fait admis en héraldique, par exemple les armes des Cinque-ports en Angleterre sont composées d’une moitié de corps de lion terminé par une moitié de coque de bateau.

D’où l’idée d’un arbre composé des deux essences que l’on rencontrait le plus fréquemment dans la symbolique républicaine pour pouvoir s’inscrire dans la tradition : le chêne et l’olivier.

Ces deux arbres évoquaient aussi les deux thèmes présidentiels, la force et la paix (la force tranquille !), et le nord et le sud.

Ensuite, c’était le choix d’un traité moderne, très épuré, mais où l’on reconnaîtrait les essences
(par la forme des feuilles et la présence de fruits). Il fallait aussi que le traité ait de la  » classe « ,
cet emblème devant, en particulier, surcharger le blanc du drapeau tricolore présidentiel, l’avion personnel,
la correspondance de l’Élysée, les cadeaux du Président etc…

L’enjeu était de taille, nous fîmes une présentation soignée, avec ses déclinaisons directement au Président – ce qui est capital dans notre métier.

Quelque temps après, nous avions un accord . Ainsi, autant le thème choisi que la réalisation, remportèrent les suffrages de François Mitterrand. Seule, l’approche héraldique permettait de mener à bien ce défi.

Encore une fois, merci, messieurs les Hérauts !