L’impression 3D forme des rêves

Au Palais de Tokyo, se côtoient images 3D en mouvement et objets légers imprimés. Rencontre avec le designer Patrick Jouin devant son installation visible jusqu’au 10 septembre et avant son intervention au colloque Le rêve des formes – Art, science, etc. le 6 septembre.

Patrick Jouin porte son banc, quatre fois plus léger qu’un équivalent en plastique.

C’est un banc. Un banc blanc, translucide, qui semble grouiller d’une indéfinissable forme de vie. Sous sa peau translucide partiellement éclairée apparaissent des taches noires disposées sans logique apparente. Un endoscope permet d’en découvrir le secret : un réseau interne de milliers de mini-piliers aux orientations et aux diamètres disparates. Une structure dessinée par ordinateur. « Il a calculé pour moi la plus grande efficacité pour une forme donnée, explique Patrick Jouin devant Voyage exploratoire au cœur de l’objet, son installation de l’exposition Le rêve des formes au Palais de Tokyo. Cette combinaison permet de distribuer les forces vers l’extérieur et d’offrir un maximum de résistance. »
En plastique, pour pouvoir porter 100 kg en son milieu, le siège de 140 cm de long devrait peser 12 kg. Sur la balance, il n’affiche qu’un maigre 3,7 kg. Une légèreté permise par l’impression 3D de polyamide en frittage de poudre sélectif par laser (SLS en anglais). Sous sa peau d’un millimètre d’épaisseur (le plastique nécessiterait au moins 6 mm) l’entrelacs en apparence désordonné équilibre les tensions comme dans un os.
« Toutes les formes sont dans les rêves, poursuit le designer qui a travaillé dès 2004 sur une première chaise imprimée, Solid. La 3D permet de les en sortir. » En incarnant les songes, en les rendant tangibles, objets du réel avec des formes tridimensionnelles qui ne pouvaient être, jusqu’ici, ni usinées ni moulées.

Un endoscope permet de voir l’intérieur du banc imprimé en 3D et de découvrir sa structure calculée par ordinateur.

Patrick Jouin a dessiné le banc, qu’il ne voulait surtout pas en plastique. Sa structure lui a été inspirée alors qu’il travaillait sur un projet pour la tour Eiffel. « Gustave Eiffel est un précurseur avec cette idée de structure légère, sans ajout, glisse-t-il. Je voulais que de la même manière on ne puisse rien enlever du banc, que rien ne soit gratuit. » Un rêve d’ascète ou une défense et illustration de la fabrication dite « additive », de l’anglais additive manufacturing, qui englobe toute les formes d’impression 3D.
Par opposition à la production « soustractive » qui pour créer enlève (sculpture, usinage…) et occasionne des déchets, la fabrication additive a pour avantage de n’utiliser que la quantité de matière nécessaire à l’ouvrage par déposition de couches qui s’agrègent grâce à la lumière ou la chaleur. « Elle évite un gâchis énorme, s’enthousiasme le designer inquiet de la prolifération des plastiques. A l’heure où les ressources s’épuisent, la méthode permet d’être frugal. » Comme la nature (enfin, la plupart du temps, voir ci-dessous). Amusant paradoxe, plus ces technologies se développent, plus la nature est érigée en modèle. Grâce à la modélisation des phénomènes de croissance des arbres, des os, etc. dont la science a pu démontrer l’efficacité, le « naturel » revient au galop.
Et parfois, il s’emballe. Ou se déploie en de surprenantes directions. A moins que ce ne soient les rêves qui déforment comme dans L’apparition du monstre, cette vidéo d’Alain Fleischer, présentée juste à côté du banc de Patrick Jouin.

Image de la vidéo L’apparition du monstre d’Alain Fleischer.

L’artiste, commissaire de l’exposition, s’est passionné pour le phénomène de cristation (crête) ou de fasciation (faisceaux) qui frappe (ou anime ?) certaines plantes, en particulier les cactus. Plutôt que de pousser droit comme un i, ou un cierge, voici que certains déploient d’étranges formations en éventail au niveau de leur tête. « Un contre-programme d’évolution morphologique monstrueux », selon le vidéaste et directeur du Fresnoy, le fameux Studio national des arts contemporains. Un programme qu’il a modélisé puis appliqué à l’image d’une tour, d’un fauteuil ou d’un serpent. Les excroissances se développent à l’infini et produisent des images titanesques. Un cauchemar pour nous prémunir d’une exploitation monstrueuse ?

Le Rêve des formes au Palais de Tokyo, 75016 Paris. Jusqu’au 10 septembre 2017.
L’exposition est accompagnée d’un colloque : Le Rêve des formes – Art, science, etc. les 5, 6 et 7 septembre 2017 au Collège de France. Patrick Jouin interviendra le 6 septembre à 16 h sur le thème « Formes contraintes ».
Collège de France, 11, Place Marcelin Berthelot, 75005 Paris