Le logotype, ça n’a pas de sens !

Ou plus précisemment, il peut en avoir de multiples ! Le sens d’un logotype et son interprétation varient en fonction de son environnement directe ? Oui. On s’en doutait bien un peu, mais Admirable Design a demandé à Valérie Seltz, spécialiste des identités de marque, de se pencher sur ce point particulier, rarement abordé.

Ce qu’elle fait au travers d’un cas concret, celui de la marque Carsberg.

Contexte et signification…

Comme les mots ou les phrases, un même graphisme n’a pas la même signification dans des contextes différents. En sciences du langage, les théories sémantiques ont souligné que le simple mot « chat » n’a pas le même sens lorsqu’il est employé dans les trois propositions suivantes : « avoir un chat dans la gorge » ; « le chat du voisin » ; et « le chat est plus indépendant que le chien ». Il en va de même pour toute création graphique. Ce que signifie le graphisme d’une marque, par exemple, dépend du contexte dans lequel ce graphisme se présente.

Voici trois exemples d’application d’un même logotype (1) :

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Dans l’exemple 1 le logotype est placé sur la façade d’un bâtiment pour informer publiquement : « Ici est le lieu où se trouve une entité nommée Carlsberg ». Quels sont les indices qui nous aident à le comprendre ? Ce logo, taillé dans du métal, est fixé sur une dalle de pierre apposée sur la façade. Ces matériaux « institutionnalisent » l’entité qu’elle représente : la pierre intemporelle et le cuivre des notables identifient l’entité à une institution et l’accréditent, alors même que l’on ne sait pas ce qu’elle représente, de tout l’aura de sérieux, de stabilité, de confiance, de rigueur que « l’image mentale » d’une institution peut connoter. La dalle de pierre affiche son ancienneté ainsi que son usure et « prouve » ainsi le grand âge de l’entité qu’elle identifie. Le logotype en cuivre, régulièrement entretenu, exprime la bonne santé d’une signature toujours actuelle.

Mais, en dehors de ce que peut signifier la manière dont il se présente dans cet exemple, ce logotype n’est qu’une nomination. Il ne signifie rien de plus que ce qu’est toute signature : un nom « écrit d’une certaine façon », donc reconnaissable et identifiable. Hormis les qualificatifs que l’on peut attribuer aux caractères typographiques, et qui influent fortement sur la perception du texte, le logo Carlsberg, tel qu’il est appliqué ici, ne donne aucun renseignement spécifique sur cette entité dont il est la signature.

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Dans l’exemple 2 le logotype est inscrit sur le véhicule pour montrer et certifier qui en est propriétaire. Il est alors une marque d’appartenance : « Ce véhicule appartient à la société Carlsberg ». Pour être certain qu’il sera vu par un maximum de personnes, le logotype est répété plusieurs fois sur tous les côtés visibles du support.

Historiquement, cette pratique est très ancienne : les marques de propriétés inscrites sur les outils ou les objets ménagers étaient l’expression d’une volonté personnelle d’indiquer l’appartenance. Sur le bétail, qui n’avait pas de lieu qui lui était réservé à l’intérieur de l’enceinte d’une propriété, on appliquait un marquage au fer rouge sur les cornes ou sur la peau de l’animal, seul moyen permettant de laisser une trace indélébile. C’est de la même manière que sont nés les premiers marquages sur de nombreux produits : le propriétaire marquait ses sacs d’épices ou ses caisses de fruits afin d’éviter toute confusion pendant le transport (2).

Par habitude, et parce que ces pratiques nous sont connues, on comprend donc que Carlsberg produit quelque chose pour le vendre, et que ce véhicule est utilisé pour le transport des marchandises.

En plus d’être une marque d’appartenance, le logotype, dans cet exemple, est aussi un outil publicitaire. Son objectif est d’exercer une action sur le public à des fins commerciales : il cherche à attirer l’attention pour être connu et mémorisé. C’est la raison pour laquelle il est répété plusieurs fois, et cette mémorisation, une fois qu’elle est effective, incite à acheter les produits ou les services proposés.
Mais, pas plus dans cet exemple que dans le précédent, le logotype, bien que fortement présent, ne nous donne d’indications sur l’entité qu’il représente.

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Dans l’exemple 3 le logotype apparaît sur une étiquette, collée sur une bouteille. La grande quantité de bouteilles et leur disposition peut laisser supposer que ce visuel présente le produit en situation dans un magasin, prêt à être vendu.

Peu d’éléments figurent sur cette étiquette en plus du logo. Une couronne, un nom : Pilsner, et un élément décoratif. Le logo Carlsberg domine visuellement les autres éléments. Le mot Pilsner désigne une certaine sorte de bière, il permet donc d’identifier le contenu des bouteilles. Il est inscrit dans le même caractère que la marque, pour afficher son appartenance. Le logotype est ici une indication d’origine : il indique la provenance, l’origine et la qualité du produit sur lequel il est apposé : « Ce produit a été fabriqué par Carlsberg ». Forte de sa renommée, cette étiquette s’appuie sur sa célébrité : le mot « bière » n’y est pas présent et ne semble pas nécessaire. Les initiés reconnaissent cette bouteille et identifient son contenu d’un seul coup d’œil.

Ainsi, c’est donc uniquement lorsque le logotype est appliqué sur le produit que nous découvrons que l’entité Carlsberg fabrique de la bière. Une fois cette information retenue par le public, la signature Carlsberg, parce qu’elle est unique et originale dans sa forme, sera reconnue partout où elle apparaît et devient, alors, l’identification de la marque. Du simple signe de propriété (exemple 2), le logotype est devenu une marque commerciale, qui peut devenir aussi une preuve de qualité. _ Le signe de l’entreprise se fait connaître parmi ses concurrents, et est par conséquent recherché ; il devient alors un « signe de marché » et le produit lui-même un « produit de marque » identifié et garanti.

Le design graphique, comme tous les métiers du design, a une vocation industrielle : les projets de création, dans la plupart des cas, sont reproduits mécaniquement en grande quantité. C’est, en partie, ce principe de sérialité qui rend possible une diffusion massive des projets et donc leur reconnaissance auprès du public.

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On le constate avec ces trois exemples d’application d’un logotype, le sens d’une production graphique dépend fortement du contexte dans lequel elle se situe. La prise en compte de ce contexte, qui se fait, la plupart du temps, de manière inconsciente, nous aide à déterminer quelle signification doit lui être attribuée, comment il doit être compris. Mais des ambiguïtés demeurent fréquemment car, le plus souvent, un même objet graphique remplit plusieurs fonctions en même temps, il peut donc avoir plusieurs significations.

En savoir plus sur l’auteur :

Après des études supérieures d’arts appliqués (ENSAAMA), Valérie Seltz a conçu et réalisé de nombreux projets de communication visuelle au sein de plusieurs agences de référence de création parisiennes (Carré Noir, RSCG, CB’a, Identités). Spécialisée en identité visuelle et en édition, elle a participé à l’élaboration d’opérations de communication marquantes pour différentes entreprises et institutions, parmi lesquelles : Louis Vuitton, CCF, Nestlé ou les AGF. Elle a notamment conçu le logotype RATP et élaboré les grands principes d’application de cette identité visuelle.

Valérie Seltz a choisi de compléter cette approche professionnelle du métier de graphiste par un travail approfondi de réflexion et de conceptualisation, et elle a suivi les enseignements d’une licence et d’un DEA en sciences de l’information et de la communication, dispensés à Paris III. Sous la direction du Professeur Popelard, elle a consacré son mémoire de troisième cycle au design graphique, dans lequel elle s’est intéressée aux relations entre l’esthétique et la signification.
Aujourd’hui, Valérie Seltz apporte son expertise aux entreprises et aux institutions qui souhaitent être accompagnées dans la conception et l’analyse de leur communication : son regard de spécialiste en communication visuelle, éclairé d’une maîtrise des principaux concepts du domaine.
Enfin, Valérie Seltz est chargée de cours à Paris III, où elle enseigne la sémiologie visuelle.

(1) Exemples présentés in Mollerup P., Marks of excellence. The history and taxonomy of trademarks, Phaidon Press Limited, London, 2001, p. 60.
(2) Frutiger A., L’Homme et ses signes, tr. fr. Perret D., Atelier Perrousseaux, Reillanne, 2000, p. 282.