Ettore Sottsass hybride les Puces du design

Comment les 5.5 designers mettent en lumières les créations joyeuses et politiques du fabuleux designer italien Ettore Sottsass, pour faire des Puces du design un lieu de plaisirs et de débats à la Porte de Versailles.

Vase Calice, 1959, d’Ettore Sottsass.

« Qu’est-ce qu’un objet durable, interroge Jean-Sébastien Blanc, co-fondateur des 5.5 designers. Hors écoconception, n’est-ce pas un objet qui dure, qui reste dans la famille, qui peut se léguer ? » À la direction artistique des Puces du design qui débutent ce jeudi 9 novembre, le collectif pose élégamment la question dans la scénographie de l’exposition-vente qui met à l’honneur des pièces du grand designer Ettore Sottsass, mort il y a dix ans. Une trentaine de créations présentées par le marchand Ivano Balistrieri de la Galerie Il Mondo del Vetro est exposée dans un environnement d’énormes ballots de cartons compressés « prêtés » par le Syctom, centre de tri d’Issy-les-Moulineaux. Ils retrouveront le circuit de revalorisation des déchets à la fin de la manifestation. L’architecture du mobilier de Sottsass, ses lignes franches et ses couleurs éclatantes se détachent parfaitement des paquets de papiers aux contours décrépis des vieux murs délaissés.
Une mise en scène destinée, une nouvelle fois, à créer la discussion, après celle sur la copie en mai. « Elle accompagne l’approche éthique et sociale de Sottsass, analyse Jean-Sébastien Blanc. En 1981, à la création du mouvement Memphis, il disait : « Faire du design, ce n’est pas donner forme à un produit plus ou moins stupide pour une industrie plus ou moins luxueuse. Pour moi le design est une façon de débattre de la vie. » Nous sommes sur la même ligne, il est notre maître à penser. Le débat d’aujourd’hui, c’est l’environnement. On ne peut pas fabriquer sans cesse des objets sans se poser la question de leur production, de leur nécessité, de leur devenir… Il y a une responsabilité du design. »

Canape Westside, 1983, édité chez Knoll.

Passionnés par la question dès le début de leur pratique – ils s’étaient fait connaître avec Réanim, la médecine des objets en donnant une seconde vie à du mobilier abîmé, chaise ayant perdu son assise ou un pied, par exemple, grâce à des prothèses standardisées, désignées – ils provoquent le questionnement par l’approche sensible, le contraste entre des pièces vintages éclatantes et des cartons à utilisation courte et limitée qui saturent l’espace.

De quoi rendre hommage à Ettore Sottsass, le « pape du design » qui aurait fêté ses 100 ans cette année. L’Italien, né en Autriche, se reconnaissait peu dans ce surnom, lui qui avait pour dogme de douter et questionner sans cesse. Fondateur du mouvement Memphis avec des amis designers et architectes tels Michele De Lucchi, Andrea Branzi, Nathalie Du Pasquier, il a bousculé le fameux attelage forme/fonction qui sclérosait l’industrie (trop binaire ?). Dans une explosion de couleur, de surprise, de gaieté, ses objets se sont fait porteurs d’histoires, chaleureux. Ils n’imposent pas un message, ils provoquent l’échange. L’architecte de formation voulait « oxygéner les langages », « éviter l’extinction du sens », comme il l’assurait en 1994 dans le magazine Intramuros. Les 5.5 profitent de son anniversaire pour lui redonner la parole, montrer toute la valeur du design des années 80 (nombre de marchands se sont mis au diapason) et offrir un supplément d’âme aux Puces pour faire venir les plus hésitants.

« Bande de jeunes qui met un coup de pied dans la fourmilière », le studio revendique « un design plus politique qu’esthétique », assume de se « détacher du stylistique pour se questionner sur la raison d’être » sans pour autant négliger la forme : leur stratégie pour les Puces du design est construite et remarquablement lisible en termes de communication. « Tous les salons professionnels concernant le design ont lieu en dehors de Paris, remarque Anthony Lebossé, co-fondateur de 5.5. Nous voulions une prise de parole du design dans Paris. » Les Puces, maintenant sises porte de Versailles et transformées en hybride de lieu marchand et d’espace culturel, sont le vecteur parfait : accessible à tous, professionnels ou non et alternant pièces de collections et offre plus abordable. En plus de la soixantaines d’antiquaires pointus qui exposent des pièces des années 50 aux années 2000, une quinzaine de maisons de design contemporain comme les Tsé-Tsé ou Arpel-lighting sont présentes (les vintages de demain ?). Dans ce marché couvert, une « rue des designers makers« , sélectionnés par les 5.5, présente une dizaine de ces nouveaux artisans/designers qui conçoivent, produisent et s’autoéditent tels Atelier draft, Maximum ou Les écoliers. Enfin, une « designerie » propose des produits légendaires de Lexon, Alessi, Droog… à prix bradés. « L’objet est un média, quelque chose qui a la capacité de modifier les comportements », assurent en chœur Anthony et Jean-Sébastien. Avec l’objet « Puces », redesigné par leurs soins depuis trois ans, ils le prouvent une nouvelle fois. Soizic Briand

Les Puces du design : Paris Expo Porte de Versailles, Hall 3.1, Paris XVe
Jeudi 9 novembre de 14h à 22h
Vendredi 10, samedi 11 et dimanche
12 novembre de 10h à 19h

Vernissage le jeudi 9 novembre à partir 18h