Data et design : la nouvelle donne ?

La data est au centre de toutes les décisions et de tous les développements au sein des entreprises. Pour mieux comprendre les interactions de la data avec le design, nous sommes allés questionner Kilian Bazin, co-fondateur de Toucan Toco, l’un des leaders français du « data design ».

Pouvez-vous nous présenter l’entreprise Toucan Toco,  ainsi que son ambition ?
Kilian Bazin. Toucan Toco est une entreprise spécialisée dans le « data design » (ndlr : il s’agit de contextualiser des data – indicateurs, reporting, etc. – tout en faisant en sorte que leur visualisation soit simple, claire, attractive et efficace). Elle a été créée en 2015 et compte à ce jour 80 collaborateurs pour un chiffre d’affaires 2019 estimé de 7 millions d’euros. Nous sommes un acteur local français, challenger leader, juste derrière les gros du marché (Microsoft, Oracle) et avons une centaine de clients, uniquement grands comptes. Notre objectif d’ici les cinq prochaines années est d’être un challenger leader au niveau interbational, ce qui passera par un écosystème partenarial d’intégration logicielle. Notre ambition est de réaliser dans cinq ans un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros.

Quel a été le point de départ ?
K. B. Il y a cinq ans, nous avons observé un paradoxe intéressant : dans beaucoup de grosses entreprises, il y avait d’un côté les DSI (directeurs des sytèmes d’information) dépensant des fortunes dans la collecte de la data, et de l’autre des décideurs ne disposant pas des data nécessaires facilitant la bonne prise de décison. C’était un peu « iPad à la maison et Minitel au bureau » . La « mission » de Toucan Toco est donc de proposer à des utilisateurs « néophytes » (issus du marketing, du commerce, du contrôle de gestion, etc.) une offre data proche de l’environnement média grand public, plutôt qu’un outil technique et rébarbatif.

Et le design dans tout cela ?
K. B. Lorsque nous avons démarré Toucan Toco, les deux premières ressources à qui nous avons fait appel ont été des designers – qui étaient à l’aise sur des problématiques de branding et de graphisme et que nous avons fait monter en compétence sur la data. Je tiens à souligner que notre réussite est très liée au design. Auparavant, de façon classique, une offre data c’était de la technologie et du développement produit. Avec nous c’est devenu « technologie + design = product ». Ces deux designers sont toujours là aujourd’hui et sont systématiquement intégrés en amont du développement produit. Ils sont capables de produire très tôt une maquette sur laquelle le client va réagir. Nous travaillons en mode agile et c’est grâce au design que nous pouvons rendre accessible et convivial une technologie complexe. Le design est idéal pour proposer une « expérience client data » de qualité.

Comment voyez-vous évoluer la data ?
K. B. D’abord il y a une nécessité absolue d’acculturation. Avant, la data c’était un problème de spécialistes. Demain, tout le monde devra être à l’aise avec la data, même les plus néophytes en la matière : le big data, domaine réservé, c’est terminé. Le design d’une expérience data réussie va jouer un rôle déterminant dans ce phénomène d’acculturation. Pour ce qui nous concerne, on est venu ringardiser le monde austère des techniciens experts en imposant une marque attirante et sympathique dont le credo est une data agréable et simple d’utilisation. En d’autre termes, la data va de plus en plus s’aligner sur les standard BtoC : un bon exemple de simplification et d’efficacité c’est Mailchimp (plateforme d’envoi de mails en grande quantité) qui a rendu limpide et amusant le domaine du mailing marketing, autrefois complexe et rébarbatif. On doit dépoussiérer et réenchanter le monde de la data – grâce au design – aussi bien pour ce qui concerne la conception des outils que leur mise en forme.

Allez-vous rester sur la data ou intervenir de façon plus large ?
K. B. J’ai pu constater la difficulté chez certains de nos clients à synthétiser et prioriser leur data ! C’est pour cela qu’il convient d’abord de prototyper un modèle idéal puis de voir de quelles données il faut disposer, et non l’inverse. Nous militons pour un « design first », plutôt que pour un « data first », car tout part du besoin utilisateur. Dans cette perspective, et parce que l’on pense design, on devrait idéalement agir sur le process puis ensuite sur la data, l’une étant la conséquence de l’autre. Dans ces conditions, il faut pouvoir agir sur sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la data.

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1124