Les agences de design et les fonds

Voici deux patrons d’agences, de taille et de positionnements différents, qui ont chacun fait appel à des fonds d’investissement pour les accompagner dans leurs ambitions de croissance. Par ordre alphabétique, voici Frédéric Messian de Lonsdale et David Nitlich de centdegrés.  

1. Frédéric Messian de Lonsdale.

Qu’est-ce que Lonsdale aujourd’hui ?
Frédéric Messian. Permettez-moi un petit retour en arrière. Lorsque j’ai repris Lonsdale en 2007, l’actif était principalement une marque forte dotée d’un vrai ADN. Mais en même temps l’entreprise était un peu en perdition : il ne restait plus que 15 collaborateurs réalisant 1,5 millions d’euros millions de marge brute. Aujourd’hui, nous sommes numéro un sur le marché français avec 240 collaborateur, pour 30 millions de marge brute. Pour ce qui concerne notre offre, elle s’appuie sur trois piliers : innovation, design thinking et stratégie de marque ; identité de marque et positionnement de marque ; expérience de marque – ce qui inclut tous les métiers « techniques » qui y sont associés (retail, digital, UX, etc.). Je précise que l’on ne traite pas et que l’on ne veut surtout pas traiter les métiers publicitaires. Lonsdale est basée à Paris et nous travaillons à 85 % pour le marché français, le reste étant de l’accompagnement de nos clients français à l’international.

Pourquoi et comment avez-vous fait appel à un fonds d’investissement ?
F.M. Ma stratégie a depuis le début été un développement rapide. De 2007 à 2012 notre croissance a été exclusivement organique et nous sommes passés de 1,5 à 8 millions d’euros de marge brute. Puis, à partir de 2012, nous sommes entrés dans une phase de croissance externe avec douze opérations réalisées à ce jour. Cette croissance externe a été réalisée partie par autofinancement et partie grâce à des fonds d’investissement (Nextstage et Élysées investissement). Nous nous sommes fait financer à la fois en obligations convertibles* et en fonds propres**. Notre idée est que dans un monde qui se transforme extrêmement rapidement il est nécessaire d’avoir à nos cotés des gens qui ne soient pas issus de nos métiers mais qui puissent nous accompagner : les fonds constituent dans cette optique une excellente solution. À ce jour, les fonds détiennent 30 % du capital de l’entreprise et nous, les managers, le reste. Pour ce qui me concerne directement, je demeure majoritaire. 

Quels enseignements positifs retirez-vous des financements via un fonds ? 
F.M. Les fonds nous challengent en permanence sur notre stratégie, notre organisation et nos offres. D’autre part, les fonds nous ont permis de développer notre business puisqu’ils nous ont mis en contact avec des sociétés dans lesquelles ils détiennent des participations.

Points négatifs ?
F.M. Des contraintes, mais finalement très saines :  une grande rigueur dans le reporting. Soulignons quand même que nos métiers ayant une économie complexe, il faut en permanence expliquer et réexpliquer nos modes de fonctionnement (pas de contrats à l’année, pas d’engagements de volume) à nos financeurs.

Bilan ?
F.M.Nous sommes aujourd’hui une équipe d’une quinzaine de managers qui  développons Lonsdale. C’était d’ailleurs mon souhait de départ : ne pas faire reposer l’entreprise sur ma seule personne mais constituer une équipe solide. Et les investisseurs apprécient ce positionnement. Mes objectifs dans les cinq ans qui viennent sont tout d’abord de bien s’inscrire dans la mouvance de l’expérience client (et notamment de ses process, dont la data). Ensuite, il faut travailler notre « profondeur business », de l’amont stratégique au produit fini. Il faut, également, optimiser notre marque employeur, c’est-à-dire notre capacité à attirer de jeunes talents – et que nos métiers soient reconnus comme de vraies opportunités pour une carrière. Il y a également le développement à l’international, avec, en particulier, les marchés américains et asiatiques. Et pour terminer, veiller à l’évolution de notre business model, car notre rentabilité doit augmenter. Nous sommes en effet positionnés moins chers que les majors du conseil : cela signifie que nous devons absolument mieux valoriser nos métiers. 

*Obligations convertibles : prise de participation « fictive » au capital pouvant se transformer en prise de participation réelle, par exemple en cas de défaillance de l’emprunteur.

** Financement en fonds propres : participation au capital.

2. David Nitlich de centdegrés.

Qu’est-ce que centdegrés aujourd’hui ?
David Nitlich. centdegrés est une agence de design spécialisée en branding, identité visuelle, design produit, packaging et architecture. L’agence a été été créée en 1988 par Elie Papiernik et moi-même. et nous sommes toujours les co-actionnaires historiques. Le positionnement de centdegrés est assez unique parmi les agences de design françaises puisque nous réalisons 80 % de notre chiffre d’affaires (10 millions d’euros) à l’international. À titre d’illustration, sur un total de 110 personnes, nous sommes 35 en France… et 40 en Chine. 

Pourquoi et comment avez-vous fait appel à un fonds d’investissement ?
D.N. En 2013, nous avons demandé à Bpifrance de nous financer (il s’agissait du fonds Patrimoine et Création 2) afin de faciliter notre ambition de croissance internationale, notamment en Chine (cinq bureaux), Asie du Sud Est (Hô-Chi-Minh, Hong Kong et Bangkok) et Suisse. Ce financement était d’un montant de 1,3 millions d’euros, sous forme d’obligations convertibles – financement qui a été remboursé par anticipation. 

Quels enseignements positifs retirez-vous des financements via un fonds ? 
D.N. Deux points. D’abord, la partie en amont du financement est très intéressante car elle permet de se voir et de se projeter avec réalisme : audit, diagnostic, business plan sur cinq ans, etc. Ensuite, une fois le financement obtenu, il est nécessaire de respecter une formalisme opérationnel  facilitant un pilotage précis et efficace de l’entreprise. Autre point positif : faire appel à un fonds nous a conduit à être structuré comme un grand groupe alors que nous sommes une PME  : outils de gestion fins du cash, indicateurs productivité, bilans consolidés avec en parallèle une montée en puissance en interne de notre expertise en matière de gestion. Enfin, je tiens à souligner la qualité des interlocuteurs chez Bpifrance.

Points négatifs ?
D.N. Disons-le tout net : inutile d’attendre de vos clients ou prospects un quelconque intérêt de leur part sur le fait qu’un fonds vous accompagne. Ce n’est vraiment pas leur problème. D’autre part, en 2013 les taux Bpifrance nous apparaissaient élevés et il n’y a aucun moyen de les renégocier au cours du temps. Enfin, le formalisme de Bpifrance est lourd, notamment en matière d’informations à produire et à communiquer à chaque opération d’investissement.

Bilan ?
D.N. Un peu cher sur les taux et exigeant en matière de formalisme, mais très aidant pour accompagner la croissance. D’ailleurs si c’était à refaire, on le referait sans hésiter. De façon plus générale, le fait de se faire accompagner par des fonds, qu’ils soient publics ou privés, génère un véritable effet de levier auprès de ses banquiers traditionnels : tout se fait sur une plus grande échelle. 

Une interview de Christophe Chaptal

Article précédemment paru dans le Design fax 1127