Tadao Ando et l’île de Naoshima

Le 22 mai marque l’ouverture attendue du nouveau musée de la Bourse du Commerce à Paris présentant la collection Pinault. L’occasion en ces temps de restrictions sanitaires de s’envoler un instant avec Florence Grivet dans un lieu magique où le nom de son architecte, Tadao Ando, vibre en tous points  : l’île de Naoshima au Japon.

Entre les  régions de Honshu et Shikoku se trouve la mer intérieure de Seto dont les îles et les zones côtières sont généralement appelées « Setouchi » (prononcer [Séto-outchi] ). Elle compte plus d’un millier d’îles de taille différentes.

La Triennale de Setouchi contribue à la faire connaître. Ce festival d’Art Contemporain fut fondé en 2010 sur sept des îles de la préfecture de Kagawa pour revitaliser les îles de la Mer Intérieure de Seto de plus en plus isolées, avec une population de pécheurs de plus en plus vieillissante, un exode rurale et une dépopulation croissantes. La 4e triennale a eu lieu  il y a 2 ans, du printemps au début de l’automne , principalement autour de 12 îles et des 2 ports de Uno et Taka. Le thème en était la réhabilitation de la mer. La prochaine est prévue en 2022. 

La plus connue de ces îles est Naoshima, réputée pour ses aménagements de la Fondation Benesse  par  Tadao Ando ( en 2018 le Centre Pompidou a dédié une belle exposition de ses œuvres) ; l’ile de Teshima est également connue pour son musée conçu par l’architecte Ryūe Nishizawa, ouvert en 2010. 

Je n’évoquerai ici que la première île, que j’ai eu la chance de parcourir il y a tout juste deux ans (le 24 mai 2019), connue pour ses sites et œuvres artistiques répandus tout autour de l’île au cœur des paysages et bâtie sur le concept de coexistence Nature, Architecture et Art.

L’île de Naoshima est accessible par ferry. La citrouille rouge (Red Pumpkin 1994) de l’artiste japonaise Yayoi Kusama en signe l’arrivée. L’île est divisée en plusieurs zones que l’on peut parcourir en bus, mais aussi en vélo (location) ou à pieds pour découvrir d’avantage les différents sites , la nature et en goûter le silence. 

La zone Honmura recouvre le Musée Ando et les Art House Project  : architectes et artistes ont récupéré des maisons vides éparpillées dans la zone d’habitation et les détournent elles mêmes en œuvres d’art, tissant des liens avec l’histoire et la mémoire de la période à laquelle ces bâtiments étaient habités et utilisés.L’aire des musées comporte plusieurs complexes conçus par l’architecte Tadao Ando. 

Le Benesse House and Museum est un complexe unissant un hôtel et un Musée d’art, ouvert en 1992. L’hotel, inaccessible aux visiteurs, reste l’exclusivité des résidents. Un privilège pour un séjour de remise en forme au calme. Le Chichu Art Museum, repensant la relation de l’humain à la nature essentiellement, a été construit en 2004 enterré afin d’éviter d’abîmer la scène naturelle de la mer intérieure. Avec cette particularité, le musée laisse entrer en abondance et utilise un maximum de lumière naturelle qui change l’apparence des œuvres exposées et l’espace lui-même tout au long de la journée, des saisons au cours de l’année. Ainsi sont exposées des œuvres de Monet, de Walter de Maria et James Turell. Le Lee Ufan Museum, créé en 2010, résulte de la collaboration avec l’artiste Lee Ufan, artiste et critique d’art Sud-Coréen.

On retrouve dans chacun de ces lieux les matériaux de prédilection de Tadao Ando, le béton brut, l’acier, le verre, le bois, dans un design très épuré, la lumière naturelle et l’ombre. Les murs obliques et les ouvertures sur le paysage cadrent le parcours. Il existe un contraste saisissant entre les complexes Benesse ouvert sur l’extérieur et Chichu ouvert sur l’intérieur.

Ces musées proposent une expérience totale : au-delà d’un aspect probablement commercial, l’interdiction (d’abord frustrante) de faire des photos requiert une disponibilité et accroît l’expérience de l’art pour soi. La variété des circulations au sein du complexe conduit le visiteur de l’extérieur à l’intérieur, par des passerelles, passages, couloirs dont l’expérience physique est un acte d’architecture  : parois élevées, obliques, à ciel ouvert ou couvert, points de vue dévoilés… Par endroit, on doit se déchausser et revêtir des chaussons blancs pour se recueillir devant une oeuvre en silence, entouré par un personnel en blouses blanches et chaussures bleues, de rigueur quasi hospitalière.

Le parcours entre les différents musées de l’île est jalonné de sculptures en plein air, qui jouent avec le paysage et éveillent les sens, dans un recueillement contemplatif, voir méditatif. Dans une atmosphère brumeuse et voilée laissant apercevoir les silhouettes des îles dans le lointain, on entend le son des vagues, les bateaux de pêche et le chant des oiseaux. Une brise légère où flottent quelques effluves de jasmin agrémente la découverte des œuvres. On est quand même mis en garde de la possible présence de sanglier sauvages.

Dans ce cadre idyllique on peut par exemple découvrir le «  Cultural melting Bath  », projet de l’artiste chinois Cai Guo-Quiang, «  installation réalisée et exposée en 1997 aux États-Unis, où l’artiste reprend un élément de la culture occidentale – le jacuzzi – et l’associe à la pratique japonaise de prendre un bain, nu, avec des inconnus. S’appuyant également sur une conception chinoise du monde, il réunit des forces opposées comme l’eau, le ciel, la terre, et l’animal, le végétal et le minéral, et les assemble dans une recherche d’harmonie  » selon mac-lyon.

Une précédente collaboration entre M. Pinault et Tadao Ando a marqué une autre île  : La Punta della Doganaà Venise. Les citrouilles rouge et jaune (Red and Yellow Pumpkin 1994) de l’artiste japonaise Yayoi Kusama, visibles en bout de ponton d’arrivée et depuis la plage sont les symboles de l’Ile de Naoshima  et du site Benesse Art. Une réplique gonflable de 10x10m, avait fait une brève apparition sur la place Vendôme à Paris pour la FIAC 2019 (avant d’être rapidement dégonflée par «  crainte d’intempéries  »). J’ai hâte de découvrir la nouvelle expérience proposée par le Maître Ando à la Bourse du Commerce. Espérons que cette inauguration signe une réouverture pérenne des Musées, de l’accès prochain à toutes formes artistiques dont nous sommes privés depuis bien longtemps… et des voyages.

Florence Grivet