L’histoire du graphisme…

Peter Gabor, graphiste créateur d’alphabet est aussi un professeur de typographie.

Pour Admirable Design, il accepte de donner un bref, mais éclairé, regard sur l’histoire de la lettre dans nos civiliations.

Lisez cet article, la culture est une arme secrète du designer. Histoire de mieux comprendre la pauvreté de nombreux logos sortis cette année…

fragment de hiéroglyphes

On peut distinguer deux grandes périodes dans l’histoire du graphisme avec des fluctuations et des interpénétrations de l’un vers l’autre tout au long de cette histoire.

1 La période constructiviste & graphique, que nous nommerons l’utopie graphique

2 La période plasticienne et picturale.

Au commencement…

Curieusement l’utopie graphique a commencé avec l’invention de l’écriture phonétique se servant de quelques lettres d’alphabet, 32 lettres pour l’écriture cyrillique par exemple et 26 pour l’écriture latine.
lettre latine 4 siècles avant JC

Durant une période qui va de 700 av JC jusqu’à la fin des années 70 du XXe siècle, l’histoire de l’imprimerie et des écritures typographiques va correspondre avec une expression graphique essentiellement construite autour de la lettre. Notre perception rétinienne s’est modifiée et notre pensée s’est adaptée à l’abstraction des lettres phonétiques contrastant avec une pensée antique exclusivement visuelle pendant les périodes summériennes ou égyptiennes.

La pensée, la conscience, la perception et les modes de communication en ces temps d’avant les 26 lettres grecques, étaient profondément influencés par une écriture symbolique où chaque mot, chaque phrase étaient exprimé par des ideogrammes. D’une certaine façon on peut dire que la pensée était encodée en image et qu’au moment de déchiffrer cette écriture, l’esprit devait réencoder les images en sons. C’est dire la compexité et le niveau intellectuel nécessaires à ces époques pour accéder à la diffusion de la mémoire. Et nous passerons sur les aspects sociologiques qu’impliquait une telle complexification (société hiérarchisée à l’extrême, société de type verticale etc.).
écriture cyrillique

L’écriture grecque.

L’arrivée de l’écriture grecque, copte et plus tard latines, voient un changement radical dans l’encodage de la pensée, et par extention de sa diffusion et de son partage. Les idées, la pensée, encodées directement en signes phonétiques, se déchiffrent désormais « en toute oralité ». Accélération vertigineuse du process et par voie de conséquence évolution radicale de la pensée.

L’utopie graphique est née avec l’alphabet, et c’est bien la télévision et l’informatique qui ont permis à notre pensée d’évoluer et de revenir vers une pensée proto-antique, visuelle et synthétique.
Rupture et quasi-retour vers une époque où l’image était le véhicule principal du langage.

Pourquoi utopie graphique ?

Parce que le XXe siècle voit l’apparition des plus grands changements dans la pensée. Tout d’abord le constructivisme russe, puis le Bauhaus, avec pour voisins picturaux le cubisme. L’oeuvre d’un Paul Renner réinventant l’écriture phénicienne avec le Futura en 1924, et celui bien plus tard d’un Herb Lubalin qui parachève cette période phonétique par un style typographique qui touche les sommets de l’expression graphique, sont des témoins majeurs du formidable chemin parcouru depuis la Grèce antique.
Herb Lubalin

Cette utopie-graphique n’est ni plus ni moins que la recherche d’une perfection à la fois dans les tracés et l’organisation des signes alphabétiques sur la surface du papier. Quand j’évoquais la notion de grammaire, de codes d’élégance ou d’emphase, cela prend tout son sens avec l’oeuvre d’un Herb Lubalin ou du PushPin studio, de typographes comme Eric Gill ou Tom Carnase.

Hermann Zapf dans son Manuale Typographicum recence en réalité tout ce grammaire et ce vocabulaire graphique. Et c’est en cela qu’il constitue une expérience majeure. C’est que dans l’histoire de la typographie, jamais on a exploré avec autant de finesse toutes les richesses d’expression de ces vingt six lettres.

Le blog de Peter Gabor