Design gourmand, design du péché ?

Dans un contexte de vigilance à l’égard de l’obésité, la gourmandise apparaît plus que jamais comme un péché capital, tout comme le tabagisme ou l’alcool.

Quels sont exactement ces freins, et comment les marques peuvent-elles les lever ?

Nicolas Chomette (agence de design B & G) donne ses recettes à Admirable Design.

Régalez-vous sans complexe !

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Entre désir et culpabilité, quelle place reste-t-il aux produits gourmands ?

Nous vivons dans une époque complexe et contradictoire…

Hédoniste et libérale, notre société consacre la gourmandise comme l’une des plus sûres sources de plaisir, et l’exacerbe en tous lieux pour mieux attiser le désir de consommer : cosmétique, lingerie, peinture…aucun secteur n’est aujourd’hui en reste. Mais elle exerce dans le même temps une pression normative sur les individus.

Multipliant les injonctions à la minceur et au « bien-manger », elle tend aujourd’hui à stigmatiser la gourmandise comme un comportement à risque, au même titre que la tabagie, ou l’alcool au volant.
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Succomber au plaisir gourmand suscite donc une inévitable culpabilité. Seul face à ses choix, le consommateur opère des transactions avec lui-même, et recherche les alibis qui l’autoriseront à lâcher prise. Plus encore lorsqu’en tant que parent, il assume la responsabilité de « donner à manger »…

Quels sont donc ces alibis ?

Et comment les marques peuvent-elles les invoquer ?

Deux grandes mécaniques de déculpabilisation.
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1 – D’une part la recherche d’alibis qui légitiment, et justifient une consommation qu’on sait coupable sur le mode :

« je sais que ce n’est pas terrible, mais »…
Après tout, c’est exceptionnel !


C’est raisonnable, parce qu’occasionnel. D’où l’enjeu pour les marques d’insister sur le caractère festif et ritualisé du moment de consommation, tout en suggérant que le quotidien recèle d’« événements » à célébrer (« Celebrations »)…

Ou d’induire par la représentation du produit une consommation conviviale et partagée, quand bien même celle-ci s’avère plutôt solitaire voire compulsive dans la réalité (Finger) !admirable_design_ChocolateT.jpg

Après tout, c’est mérité !

C’est une juste rétribution après les efforts consentis : une après-midi de sport, une réunion difficile, un coup de blues …ou une journée d’école ! D’où l’enjeu pour les marques d’insister sur l’idée de récompense et de réconfort, par le recours au vocabulaire sémantique et graphique de la tendresse (Amour de Lait de Poulain). Ou sur un registre plus décalé, de présenter le produit gourmand comme un antidote anti-morosité (Chocolate Therapy de Ben & Jerry’s) !

Après tout, c’est de leur âge !

L’enfance, c’est l’âge de l’innocence, de l’insouciance. Même s’il faut poser des limites, c’est aussi une période qu’on a envie de préserver…L’enjeu étant de faire plaisir à son enfant, les marques doivent donc explicitement s’adresser à lui.

Par exemple via un nom simple et incantatoire (Doo Wap, Whaou), une mascotte intervenant sur un mode complice et transgressif (Nesquick, Pépito), ou un volume ludique (Amora).
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Ca en vaut la peine !

Ca a l’air tellement bon que ça vaut le coup de craquer, même au prix de quelques petits sacrifices ultérieurs. D’où l’enjeu pour les marques de créer les conditions de la tentation : clairs obscurs (Lindt Noisette Sensation), tourbillon des sens (Magnum 5 sens) et ultra-gourmandise revendiquée (Extrême).
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2 – On peut distinguer d’autre part la recherche d’alibis qui visent à minimiser le caractère répréhensible du produit sur le mode

« Après tout…ce n’est pas si mauvais que ça ! »…
Parce que c’est « plein de bonnes choses » !


Registre promis à un avenir incertain pour les produits dont le profil nutritionnel n’est globalement pas équilibré, et qui consiste à rassurer sur la teneur en « bons ingrédients » .

Le lait et les céréales faisant la course en tête, qu’ils soient mis en scène sous la forme de pictogrammes (BN), d’élément de décor (Petit Ecolier), ou directement intégrés à la structure (Kinder) ou au logotype (Galak, Grany).
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Parce que ça a toujours existé !

Que la marque revendique une approche traditionnelle (La Laitière), artisanale (La Fermière), ou « comme à la maison » (Bonne Maman), l’argument sous-jacent étant que ça ne peut être que plus simple, donc plus sain, que les produits plus explicitement industriels.
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Parce que rien n’est mauvais en soi  !

Finalement les calories… c’est de l’énergie ! L’opportunité consiste ici à assimiler le produit gourmand à un carburant indispensable au quotidien trépidant des enfants et adolescents.

D’où deux grandes tendances observées sur le pack : d’une part la personnification de cette énergie via un personnage de marque aspirationnel (Lion, Frosties). D’autre part sa revalorisation nutritionnelle via des pictogrammes (Taillefine).
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Parce que ce n’est pas de la gourmandise !

Autrement dit ce n’est pas une défaite coupable face à la tentation, mais une démarche réfléchie et maîtrisée de découverte et de connaissance…que les marques peuvent activer par un discours de pédagogie et d’initiation sur l’origine, la composition (Lindt Excellence Madagascar)…

Ou par une esthétisation de la gourmandise qui va, par là même, la mettre à distance : extrême focus (François Théron), parfaite symétrie (Picard), répétition (After Eight)…

Mais les marques doivent prendre garde. Conséquence d’une meilleure information, et de la maturation croissante des comportements, les consommateurs assumeront davantage leurs choix, mais ne tolèrerons plus d’ambiguïté de la part des marques…