Quel style d’architecture pour quel type de distribution ?

Jean-Claude Prinz dirige son agence d’architecture commericale. Il est une des grandes références dans le domaine. Il fait ici pour les amis d’Admirable Design, le point sur les styles actuels dans le monde et ce qu’il entrevoit pour après. Tout y est !

Les tendances de l’architecture de commerce : quel style d’architecture pour quel type de distribution ? Quel concept pour quelle enseigne ?

doc-787.jpgLes tendances ?
La définition du dictionnaire Larousse nous indique :
« Une action, une force par laquelle un corps tend à se mouvoir vers quelque chose, une inclinaison, un penchant. »

J’aurais pu aussi bien écrire également :
(Les temps denses : pour parler d’architecture, de beauté, de communication, de design et de mode.
Une revue a d’ailleurs exploité ce jeu de mot, sous la direction de Lionel Blaisse et Françis Gaillard.
Car les temps aujourd’hui sont bien denses.
Densité de création, de créativité, de nouveaux concepts, d’imagination et d’innovation, et surtout en ce moment, dans le domaine de l’architecture de commerce.

Les tendances, sont pour moi, un recueil de traces, une empreinte pour marquer un temps, un style, un moment de notre vie.
Il faut faire cependant très attention, car par mimétisme, certain concept reproduise une tendance qui n’en n’est pas une.
Ce sont bien les concepteurs, les architectes de commerce qui sont des lanceurs et les leaders de tendances.

Les tendances sont favorables aux analyses des critiques, aux journalistes, et aux médias,plus qu’aux gens cependant qui les conçoivent.

Aujourd’hui, plus que jamais, le magasin est entré dans notre vie quotidienne.

Le shopping est partout dans les médias, la presse spécialisée dans l’environnement de la maison : Elle Déco, Maison de Marie Claire, Figaro Maison, Coté Sud, Coté Ouest, Atmosphères….
Mais aussi les hebdomadaires :le Nouvel Observateur, Express, Télérama, Zurban…, voire les quotidiens qui ouvrent leurs colonnes aux tendances, aux nouveaux concepts de magasins, de restaurants,tels Le Figaro, Libération,…

Et même la presse économique : la Tribune, Management, Capital… qui commencent à s’intéresser à ce phénomène.
La radio, la télévision, tous évoquent les nouveaux lieux  » branchés », les nouveaux concepts, les restaurants dans le coup, les rues à parcourir, avec les adresses de magasins.

Certaines revues spécialisées dans le commerce , Sites commerciaux, LSA, Points de vente, Marketing magazine, Commerce magazine, se font les échos des nouveaux concepts.

Alain Boutigny, journaliste de la Correspondance de l’Enseigne et Sites commerciaux, à créé il y a 10 ans, avec Gérard Caron, Les Enseignes d’Or du commerce, récompensant les concepts d’architecture et de rénovation…

Ainsi qu’ un Forum de l’architecture de commerce qui réunit chaque année les architectes, les enseignes, pour présenter les nouveaux concepts et les nouvelles tendances. Voire, la publicité, qui prend en considération aujourd’hui ce secteur, qu’elle négligeait au paravent, avec les revues comme Stratégies, CB News, et l’attribution de prix spécifiques à cette activité de l’architecture de commerce.

Les agences de design, qui autrefois se sont constituées autour des métiers du marketing de l’identité graphique, des logos, des packagings, l’édition ont désormais un département d’architecture commerciale, appelé également design d’environnement.

A l’invitation de Paul Eluard à  » Garder les yeux fertiles  » , il m’a paru intéressant de faire un voyage initiatique Ö travers ces univers commerciaux,dans le monde et ces concepts, ces magasins qui nous font rêver, découvrir, communiquer, échanger, acheter, et prendre du plaisir.

Quelles sont les tendances actuelles dans le commerce ?

J’aurai pu classer différents types de tendances :
LES TENDANCES COMMERCIALES

Le discount
Le phénomène de crise qui a conduit les discounter et les hard discounter Ö prendre une position, laissant peu de chance à l’image qualitative, aux frais de marketing, au design, au profit de l’impact de prix.
Des aménagements réduits Ö leur plus simple expression, gondoles métalliques, peu de signalétiques ( ED, Leader Price, Aldi … )

Les killers
Les Grandes Surfaces Spécialisées ( Ikéa, Toy’R Us,… )
Une discipline et un impact commercial sont plus forts et importants qu’ un impact esthétique

Les spécialistes
Ils représentent 40 % du commerce de détail. Regroupés en réseaux ou groupements d’achat (Fnac, Habitat,… ). Design, communication, catalogue, structuration de rentabilités au m2, services, accueil, compétences
valeurs aux retours traditionnelles

Les grandes surfaces
Paysage commercial  : Carrefour, Auchan, Leclerc,… représente le marché économique de la grande distribution

Les grand magasins
Institutions des grandes villes, patrimoine culturel ( implantation urbaine) architecture majestueuse, surface de vente, les produits ( Galeries Lafayette, Printemps, Le Bon Marché, Samaritaine, BHV )

Les mégastores
Magasin de grande surface, situé de préférence sur des avenues ou des axes importants, dans les grandes villes et représentant le « navire amiral » de la marque ou de l’enseigne.
Joseph rue Saint Honoré, Armani boulevard St Germain, Grand Optical aux Champs Elysées…

J’aurai tout aussi bien pu prendre comme classement des tendances par rapport à des moyens d’écriture de l’architecture de commerce comme la transparence, le faux semblant, l’intemporalité, l’éphémère, la couleur,…

Ou encore les tendances par grandes catégories :

Les authentiques comme le Repaire de Bacchus,
Les naturels avec un Tour en Mer,
Les high tech avec le nouveau concept de Dragon Rouge Ciln d’oeil,
ou les fun avec Purple ou le Shop.

MON CLASSEMENT PAR TENDANCE/STYLE DE VIE
J’ai choisi, de par mon expérience professionnelle, d’effectuer un classement par typologies de tendances par rapport à des styles de vie.

En effet, les décors n’obéissent plus à une logique historique.

Il me semble difficile, aujourd’hui, de classer un magasin par style, j’entend par là, une référence et une reconnaissance historique : Louis XIV, LOUIS XVI, Napoléon,…
Ainsi, le charme des antiquités, des brocantes, du monde contemporain, de l’innovation, de l’imagination, ont apporté un environnement bien spécifique.

De ce fait nous trouvons des lieux et des décors de magasins très différents les uns des autres, certain rempli de traditions insolites, d’autres s’inscrivant dans une pérennité classique mais contemporaine, d’autre encore dans un modernisme esthétique et élitiste, d’autre encore se rattache à des valeurs économiques, écologiques, émotionnelles ….

Le mélange des styles répond plus à un besoin de mode de vie, de « machine à vivre », et pourquoi pas de  » machine à vendre » dans le cadre du commerce.

Ainsi j’ai classé les magasins en 7 catégories :

Le Minimalisme, le Nouveau Baroque, les Thématiques, les Rationnels, les Classiques, les Spectacles, les « Modes ».

Le Minimalisme
Cette grande tendance actuelle a été initiée par les Japonais en 1980, et magnifiée depuis par les Grands couturiers de la mode : Calvin Klein, Jil Sanders, Prada, Giorgo Armani, Jigsaw…

Plus récemment ouvert au grand public, et très médiatisé par un magasin branché parisien : Colette.

Mais d’autres exemples avec Antonio Citterio pour Fausto Santini, et Habitat, au Pont Neuf, ou les magasins Equipment à Paris, Loewe de Roland De Leu, avenue Montaigne sont dans la mouvance du minimalisme.

C’est par le dépouillement, l’espace, l’austérité, la sobriété, la pureté des lignes, que la tendance minimalisme prend ses sources.

La tendance du nomadisme épouse également cette tendance minimalisme, par des présentoirs non fixes, souvent sur roulettes, par des miroirs, simplement posés ici et là…par des objets facilement transportables.

Peu de produits, mais des produits sélectionnés et mis en valeur

Le style laboratoire, et le dépouillement sont les inspirations de la tendance du minimalisme.

Aujourd’hui ne nombreux concepts de magasins s’inspirent de cette tendance, Zara, La City, Morgan, en oubliant que le minimalisme est avant tout une forte implication du volume architectural et une sophistication du détail.

La clientèle est parfois sophistiquée, ‘ certainement très  » branchée « , à la pointe de la mode, exigente.

Exemples de références

 Jil Sander à Chicago

 Jigsaw à Londres

 Workshop à Osaka ( Japon )

 Calvin Klein à Paris

 Armani à Paris

Le Nouveau Baroque
Récupéré de l’architecture de l’art Baroque du 18ème siècle, par des designers, stylistes, architectes contemporain, tant dans l’art nouveau de Gaudi, mais dans les oeuvres plus récente de Ettore Sottsass, Allessandro Mendini, Garouste et Bonetti, Hilton Mac Connico,

C’est une recherche d’une nouvelle symbolique des objets et du cadre de vie.
L’idéal du Baroque est de renouer avec l’âge d’or d’un mode naturellement magique.

 » Notre modernité est un chemin sans rupture avec toutes les sources et tous les parcours de l’histoire  » Nous disent Garouste et Bonetti

Quelques exemples : Dolce Cabana avenue Montaigne à Paris ou à Londres, Christian Lacroix, Thierry Mugler, rue du Bac, mais d’autres qui ont arrêté cette tendance, car trop accrochée a la mode, ou pour changer et tourner complètement une page comme les magasins Kookai de Kristian Gavoille.

Mais aussi dans la restauration avec le restaurant Bon à Paris, dessiné par Philippe Starck
Un peu provocateur, le nouveau baroque est néanmoins une expression rituelle et relationnelle.

Dans un monde qui a perdu ses mystères, le nouveau baroque cherche à la manière des premiers explorateurs, un nouvel extraordinaire et poétique.
C’est une clientèle à la recherche d’émotions, de spiritualité, d’exotisme, de sensualité

Exemples de références

 Magasin à Tokyo dessiné par Garouste et Bonneti

 Silver Tab à New York

 Toupary à la Samaritaine de Hilton Mac Connico
Ladurée à Paris.

Les Thématiques
Inspiré par des grandes réussites : The Nature and Company, dupliqué en France avec Nature et découvertes ces magasins fédèrent plusieurs types de produits, autour d’un thème porteur de valeurs : écologie, nature,etc.

D’autres exemples : Loft ou Antropologies aux USA, ou tous les matériaux sont en bois, en branches d’arbres, Virgin Megastore à Paris, également Human Inside rue de Rennes à Paris, Sun and Rain aux USA…

Plus récemment Résonances, implanté à Bercy et à Val d’Europe est un hommage au objets du quotidien, des ustensiles ludiques, design ou poétique, autour d’une librairie spécialisée sur le thème de la maison.

On encore le nouveau Séphora à Bercy

C’est une des tendances les plus recherchées actuellement.
Plus proches des boutiques du « prêt- à – vivre » ou des magasins univers qui vendent non seulement des produits mais aussi une ambiance, un imaginaire : un style de vie.

La restauration, les cafés et les bars sont aujourd’hui des acteurs très moteurs de ses axes de recherches à thèmes :
On a vu se créer les cafés Philo, les cafés littéraires, les cyber cafés ( à Amsterdam un café de plus de 1 500 M2, ainsi qu’ à Paris Easyeverything, le géant du clic, boulevard Sébastopol), les Cafés musique, les cafés fumeurs…

Et les restaurants : Pharmacy, concept à partir d’une pharmacie à Londres, plus récemment Asia De Cuba à Londres dans une atmosphère électrisée avec une sono tonitruante, on a l’impression d’être dans un camp de vacances pour grands enfants, avec de l’invention , du ludique et du tonique. ( Designer par Philippe Starck )

La clientèle est futile, changeante, cherchant l’inattendu, la nouveauté, l’innovation, le changement.

Exemples de références

 Epicerie Fine à Paris

 Dean and Deluca à New York

 Pantagonia à Washington

 Dick’s à Columbia aux USA

 Larry’Shoes à Denver aux USA

 Nature et Découvertes à Paris

 Résonnance à Paris

Les Rationnels
Issus d’un marketing très élaboré, certainement conduit par des études quantitatives et qualitatives de consommateurs, ils s’inscrivent dans une démarche de présentation rationnelle, ergonomique, pratique, efficace et systématique.
Gap, Grand Optical, FNAC, Original Levi’s Store à NewYork,

C’est l’organisation, la présentation, l’ordre, qui prime et prend le dessus sur l’ambiance générale.

Ils peuvent avoir plusieurs typologies de tendances, mais c’est dans l’organisation, la rationalisation, la normalisation, et l’efficacité que le concept se traduit.

La clientèle y est souvent fidèle, car elle y trouve ses repères, ses origines, sa culture.

Exemples de références
– Hema à Amsterdam

 Gap dans le monde

 Original Levis’Store aux Usa

 Dockers aux Usa

 Fnac en France

 Grand Optical à Paris

Les Classiques
J’entends par classique, ce qui a une pérennité.
On peut être classique par l’utilisation de codes et de styles d’une autre époque connue et trouver des référents,
Mais on peut être classique par le style contemporain Andrée Putmann, Réna Dumas, sont des architectes d’intérieur qui s’inscrivent dans cette mouvance.

C’est la qualité qui prime, qualité des matériaux, des éclairages, des mobiliers, et un certain goût du luxe et du « chic ».

Quelques exemples :DIillons à Birmingham, Hermès, Dior, Chaussures Weston, Cartier de Jean-Michel Wilmotte, Didier Guérin,

C’est une clientèle difficile de connaisseurs, de personnes raffinées, qui ont le sens de l’esthétique, un goût de l’apparence, du luxe, de la qualité, qui peut devenir fidèle à l’enseigne.

Exemples de références

 Chanel en Floride

 Selfriges à Londres

 Idée à Tokyo

 Shangaï Tang à Hong Kong

 Frédéric Morganthal à New York

 Ebel à New York

 Trunbull & Asser à New York

 Polo Ralph Lauren à San Francisco

 World of Joyce en Taïland

 Chanel à Paris

 Dior à paris

 Lanvin à Paris

 Louis Vuitton à Paris

Les magasins spectacles
En dehors de toute tendance de mode ou de style, ils sont plus proche du décor de théâtre ou de cinéma.

Ils évoquent des univers ou des ambiances, ou le décors prend une importance considérable et contribue à apporter une dimension scénographique :

Nike Town aux USA et à Londres, Disney Store, Warner’s Bros Store à New York, Mega Mart à Omaha ( Nebraska ) sont les principaux exemples.
Séphora, avenue des Champs Elysées, avec son tableau d’affichage des prix dans le monde, et ses vitrines de factices.
Plus récemment l’ouverture de Citadium à Paris

C’est une clientèle ( très ) jeune, changeante, mouvante, éphémère, pas sure d’elle, qui compare, se déplace souvent.

Exemples de références

 Niketown à Londres

 Original Levis’à Londres

 Morgan Puett à New York

 Virgin à New York

 Caesar’s World Retail à Las Vegas

 Citadium à Paris

 Eldorauto à Neuilly

Les modes et les designers…
« La mode s’empare des designers » titrait Maison Française, et Intra Muros sort un hors serie mélangeant les lieux à la mode, les galeries, les espaces culturelles, les fournisseurs de mobiliers et d’éclairage, les restaurants avec les magasins.

Cela confirme que la mode s’est emparée des boutiques de design et des designers.

Mais par n’importe quel desiger, non pas les architectes d’intérieurs, armé depuis de nombreuses années à concevoir des espaces de vente mais les designers venus de la mode et du mobilier

Plutôt habitué et reconnu par la création de mobiliers, sièges, tables, qui sont des vecteurs de communication médiatique par excellence, les designers s’investissent dans des boutiques

 Mandarina Duck par Drog Design ( groupe Hollandais ), rue Saint Honoré à Paris

 Issey Myaké par Erwan et Ronan Bouroullec, rue des Francs Bourgeois à Paris

 Rodolphe Menudier par Chistophe Pillet,

 Corinne Cobson par Thierry Gaugin, rue du Marché Saint Honoré à Paris

 Alexandra de Gastines par Marie Christine Dorner,rue des Moulins à Paris

 Joseph rue Saint Honoré à Paris par Christian Biecher qui a réalisé le restaurant
Kurava de Delarue

 Upla par Joseph Dirand rue Saint Benoit à Paris

Il s’agit là d’une rencontre entre un créateur de mode et un créateur designer

En conclusion :
J’aurai pu citer encore de nombreux autres magasins, découverts au cours de mes nombreux voyages, et des regards que je porte, sur ces lieux fantastiques, que sont les espaces de vente.

Car je suis persuadé que le commerce est un facteur de variation perpétuel, et porteur de nouveaux concepts, de systèmes de valeurs sociales et donc de nouvelles tendances.

Même si les tendances peuvent être éphémères et fragiles, soumis à l’usure du temps et aux caprices de la mode, l’imagination pour mettre en scène et présenter un produit, prendra toujours une dimension ludique, pour nous séduire, faisant vibrer notre ego, notre émotion, et notre sensibilité.

Il n’y a donc pas de recette miraculeuse, mais la bonne adéquation entre le produit, le lieu, l’espace, le décor, la présentation, la scénographie… pour créer une émotion, une séduction et une ambiance, soit un nouveau style, une tendance en harmonisation avec l’ensemble, qui témoignera des modes et des moeurs de notre temps..

A un journaliste qui me poserait la question : « qu’elles seront les tendances de demain ? »

Je répondrai qu’il reste encore à travailler sur des nouvelles typologies de tendances que je crois être à l’ouverture du XXI ème siècle.

Ce sont les valeurs et les notions sur l’engagement, le temps, la pédagogie, l’assistance, le confort, la tolérance, la citoyenneté, la santé, le bien être, la sécurité, mais toujours l’émotion…

Il reste encore à créer, sans peut être savoir vers quoi, ou vers où l’on va.

Pour reprendre une phrase célèbre de Pablo Picasso  » Si l’on sait exactement ce que l’on va faire, à quoi bon le faire ? »

L’architecture de commerce est appelé à jouer un rôle fondamental dans les prochaines années, car il sera un complément indispensable et fondamental de la vente, c’est le lieu de la satisfaction de son ego, dans un espace dédié, connu et qui reste toujours à imaginer pour accomplir…l’acte d’achat.