Design, la nouvelle donne économique…

Christian Guellerin, président de Cumulus – réseau international d’universités et d’écoles de design, art et média et directeur de l’Ecole de Design Nantes Atlantique, porte un regard de sociologue et d’économiste sur la place du design dans nos économies avancées.

Culture, économie et concurrence planétaire de seraient que composantes du design d’aujourd’hui ?

Oui, si ce n’est qu’il en a toujours été ainsi ! Mais que de nos jours, l’évidence est là : le design est l’arme létale dans la guerre économique globale.

 Cet article -un second suivra sur l’enseignement du design- mérite votre attention. Les réflexions sur nos métiers de cette qualité ne sont pas si fréquentes…

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Pendant longtemps en France et dans certains pays européens, le design a été considéré comme une discipline liée aux Arts Appliqués, une discipline de création réservé à quelques secteurs d’activités circonscrits, les meubles, les voitures, les Arts de la Table…Pendant longtemps, il s’est agi pour les écoles de former des créatifs dont on allait quelquefois justifier le talent dans le fait qu’il ne pouvait rentrer dans aucun système et notamment dans l’entreprise, tant la nature de leur talent de création devait être justifié par leur incapacité à être intégré à une quelconque contrainte.

Depuis quelques années, et après que le paradygme économique de la « gestion des coûts » ait montré toutes ses faiblesses face à la concurrence des pays émergents, le design, la création, l’innovation sont devenus des disciplines économiques reconnus efficaces à générer de la valeur ajoutée. Le design est devenu une discipline clé pour les entreprises qui réfléchissent sur leur avenir. Le designer a cessé d’être « déviant » pour occuper des fonctions stratégiques et managériales. Une formidable opportunité pour les écoles de design…

Le design « donne du sens » dans un monde « global » qui cherche de nouveaux repères

Le design est une discipline de création. Créer, c’est aller au-delà de ce qui existe. Par la transgression de « ce qui est », le design nous fait réfléchir sur ce que nous serons demain. En nous projetant dans le futur, il nous pose fondamentalement la question de ce nous laisserons de nous, du monde que nous laisserons à nos enfants.
Il a pour projet de donner du sens à ce qui nous entoure. Au moment où la mondialisation abat peu à peu toutes les barrières, toutes les frontières, il nous interroge sur l’identité, sur la culture, la nôtre et celle de l’Autre, sur la croyance. Il nous oblige à considérer l’ « Autre », celui qui s’impose à nous et dont on se réjouit qu’il puisse nous enrichir de sa culture.

Le design crée du sens dans un monde « global » où la mutualisation des croyances remet en cause nos repères culturels et en impose d’autres, plus riches encore.
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Une discipline économique portée par une formidable réorganisation industrielle du monde

Dans une logique économique, le design permet de créer de la richesse, du développement, du progrès. L’émergence des pays tels que la Chine, l’Inde, le Brésil…et tous les pays dont les coûts de production sont « imbattables » obligent à la création, à l’innovation, au design pour rechercher de nouveaux moyens de générer de la valeur ajoutée, et maintenir notamment de l’activité, de l’emploi, du social dans les économies occidentales nées des révolutions industrielles du milieu du 19eme siècle.

L’émergence récente de nouveaux pays à faible coût de production oblige au constat d’une réorganisation industrielle du monde. Il se pourrait que l’industrie, celle de la production de masse échappe définitivement aux économies occidentales.
Le phénomène n’est pas nouveau. Le Magreb, les pays d’Asie du Sud Est, les pays de l’Est Européen…nous ont déjà et depuis 30 ans posé les questions de l’adaptation de notre économie.

Les entreprises de production occidentales ont dû s’adapter . Trois grandes phases peuvent être identifiées dans l ‘évolution de ces entreprises : Dès la fin des années 60, l’ouverture progressive des frontières et les politiques libérales ont obligé à une compétition sur les prix et donc sur les coûts qui a entraîné une rationalisation des méthodes de production.

Cette 1ère phase a été suivie par une démarche liée à la qualité. Produire de la qualité, faire mieux que ses concurrents et notamment des produits plus fiables a été le leitmotiv de nombreuses entreprises dès la fin des années 70. Cette démarche-qualité a conduit bien souvent à générer de la procédure pour « tuer les coûts », problématique fondamentale de l’entreprise de production soumise à la concurrence et qui cherche à restaurer ses marges. Les politiques « qualité » ont eu pour conséquence de tuer également et dans de nombreuses entreprises toutes les politiques d’innovation.

La 3ème phase est et sera celle de la création et de l’innovation pour générer de la richesse.

Il est possible que l’industrie de masse échappe aux économies occidentales. Certains pays comme l’Angleterre ont compris cela depuis 30 ans en sacrifiant des pans entiers de leur industrie et en ayant une politique très volontariste en faveur du design.

Si elles nous menacent en imposant des coûts sur lesquels les économies occidentales ne pourrons pas s’aligner, les pays émergents offrent toutefois une formidable opportunité : l’arrivée en masse de nouveaux consommateurs. 300 millions de chinois ont aujourd’hui des niveaux de vie comparables à ceux des européens. De nouveaux marchés s’ouvrent et en particulier dans les domaines du service où le retard est considérable.

Cette réorganisation industrielle s’accompagne de l’arrivée de toutes les nouvelles technologies de l’information qui fait de n’importe quelle vitrine « internet » à l’autre bout du monde un magasin de proximité, rend quasi-impossible toute protection commerciale durable, fait exploser les repères des marchés mondiaux. Le « vieux monde » économique s’effondre…il est remplacé par un monde « global ».

Le design comme discipline de création est donc fondamental pour nos entreprises : il donne du sens et nous pose la question de « comment voulons-nous vivre demain ». D’autre part, il produit de la richesse.
La responsabilité du designer est donc de concilier ses deux aspects que d’aucuns ont tenté quelquefois, pour une quelconque tradition de l’art et de défiance au monde économique, de rendre inconciliables.
Spinoza qualifie l’Humanité selon deux ordres distincts : la conscience – celle d’hier, d’aujourd’hui, de demain – et le désir : Le design donne du sens et en créant de la richesse, nous fait rêver du progrès. Pas plus humaniste que cette discipline, une impérieuse nécessité humaine qui replace l’économique au service du progrès.

De la difficulté de marier la création et l’économique

La création, l’innovation, le design nous posent d’emblée la question esthétique de la transgression de ce qui existe et nous oblige à une réflexion sur le « mieux » : une des définitions les plus simples du design le qualifie de discipline produisant des objets « plus fonctionnels, plus utiles, plus beaux ». Toutes les écoles partagent cette définition et même si les moyens sont différents, ce socle culturel semble être partagé par tous les designers. De même, le projet de « donner du sens » est partagé par tous les établissements d’éducation au design.

En revanche, et parmi les établissements d’enseignement supérieur européens, la question de l’économique semble plus équivoque : comment marier la génération de valeur ajoutée, de profit, à la création…comment marier le design et l’ « économie capitaliste » dont l’un des avatars les plus évidents est que la richesse va à la richesse, l’argent va à l’argent.
Le responsable Marketing Europe de Ford faisait une conférence récemment à Bratislava lors d’un colloque Cumulus : « Notre travail consiste à analyser les besoins du marché. Si le marché nous réclame des 4/4, nous produirons des 4/4 et vendrons des 4/4, parce que c’est notre métier. » Il ne faut pas attendre fondamentalement des entreprises, ou des marketers qu’ils réagissent autrement. Seule la réponse aux besoins du marché et le profit peuvent guider leurs actions.
Le designer a une responsabilité économique déterminante parce qu’elle va au-delà du marché, au delà du besoin, au delà de la demande. Le designer a le pouvoir, le devoir de faire l’offre et parce qu’il place l’Homme, l’usage au centre de sa problématique, il a la responsabilité que cette offre soit vertueuse au regard d’une notion de progrès. Le designer crée de la richesse et il a la responsabilité de replacer l’économique au service du progrès. Il ne faut pas attendre des marketers qu’ils rendent les entreprises éthiques, les designers en ont la responsabilité.

Le design est devenu une discipline stratégique et de management. Management pare qu’il fédère l’ensemble des personnels autour des « projets » de l’entreprise, stratégique parce qu’il s’agit d’inscrire la création et l’innovation comme moyens de se projeter dans l’avenir, d’assurer la pérennité de la structure et sa rentabilité.
Beaucoup d’entreprises ont intégré des designers pour leur capacité à créer de nouveaux produits. Il reste aux designers et aux entreprises à créer les conditions de faire évoluer leur fonction. La question est posée aux établissements de formation. Comment faire pour que les designers aient enfin l’occasion d’occuper les positions de direction, à la mesure de leur talent, de leur culture et de la vision particulière qu(ils ont d’envisager le monde de demain : un monde où l’usager – l’Homme – est au cœur de toute réflexion de développement et de progrès.