Féminité ou naissance de la 3ème femme ?

Eric Van de Valle, un spécialiste de la sémantique des marque, offre aux fidèles d’Admirable design, une réflexion sur l’image que renvoie aujourd’hui la femme dans les médias.

Les designers, dans leurs créations sont confrontés à l’expression du féminin et du masculin…

A lire, donc…

 

De la 3eme femme au 3eme homme…

Nous avons vu apparaître ces dernières années une production iconographique publicitaire dont le niveau symbolique reflète probablement une évolution sociologique importante de la Féminité. Les domaines ne sont pas anodins : parfums et lingerie sont des interfaces particulièrement révélatrices, se situant au point de rencontre du rapport à soi et au monde.

Les marques surfent sur les évolutions sociologiques et les alimentent aussi. Chaque intervention dans leurs univers, que ce soit par les études, le design ou la communication, oblige à s’interroger sur ces courants de fond et de surface. Il était difficile de garder pour soi le sujet qui suit, tant son pouvoir de fascination -intellectuel bien sûr- est grand.

Des images de féminins duales viennent interroger le statut “ontologique” du Féminin, en le plaçant dans une sorte de tension métaphysique entre les absolus : lumière et obscurité, bien et mal, temporel et intemporel.

Tout se passe comme si on partais à la recherche d’une nouvelle définition de la Femme, en revisitant les fondamentaux pour parvenir à mieux parler d’elle sans tomber à chaque fois dans le partiel ou la caricature.
Il est vrai que lorsqu’on les interroge sur les images que la société devrait produit à leur sujet, elles insistent souvent sur un besoin de trouver des registres exprimant un nouvel état d’être : à la fois une et multiple.

Cette apparente dualité cache en fait un troisième terme qui émerge et fait naître dans la littérature la possibilité d’une « 3eme femme » : l’Unité, la Multiplicité et la Conjonction de l’un et du multiple.
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Sans prétendre épuiser le sujet, tentons une exploration de cette mystérieuse conjonction…

De nombreux mythes évoquent la conjonction primordiale des polarités, hiérogamies, dieux et créatures conjuguant les principes masculin et féminin, la possibilité de décider du bien ou du mal, d’être à la fois créateur et créature.

Dans le Banquet de Platon, les êtres humains étaient au commencement de trois sexes : mâle, femelle, et hermaphrodite. Ayant provoqué la colère des dieux, ils furent punis par Zeus qui les sépara chacun en deux moitiés.

Dans la Genèse, Dieu conçu d’abord des androgynes, « homme et femme il les créa », jusqu’à la Chute qui permis de répartir les rôles de façon plus productive, mais sans gommer totalement le souvenir de la part manquante.

Les pères et les docteurs de l’Eglise ont réduit cette bipolarité psychique en définissant la femme par rapport à l’homme, tirée de sa côte : elle sera inféodée à lui et seconde. Il ne lui est plus permis d’exprimer toutes les dimensions de son être, d’être à la fois égale de l’homme et différente, ange innocente et démone : une femme qui n’est pas une Eve procréatrice ne peut être qu’une Lilith démoniaque, elle est tout l’une ou tout l’autre, condamnée à choisir et à taire l’un des deux pans de sa “nature”. Ce qui était alter et ego est réduit à alter ou ego, sans identité propre et à la seconde place.
On a tenté de réduire la bivalence de la femme pour installer un ordre social hiérarchisé, fondé sur une suprématie de Dieu sur l’homme et de l’homme sur la femme.
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Mais cette dualité profonde, archétypale, demeure et semble ne demander qu’à s’accomplir.

Les images que nous voyons aujourd’hui revisitent ce thème fondamental.

Mais ce qui est intéressant et nouveau, c’est qu’elles l’affirment cette fois positivement et comme un tout possible, les polarités sont conciliables en soi et dans la vie sociale.
Nous sommes en effet dans un contexte sociologique marqué par une possibilité d’accomplissement et d’expression beaucoup plus libre des personnalités, en accord avec des aspirations qui n’apparaissent plus comme des contradictions.

Ce qui émerge aujourd’hui va au delà du mélange des genres, il ne s’agit plus seulement de glissements de territoires : la femme ne se masculinise pas, mais affirme au contraire une hyper-féminité rendu possible par ce qu’il conviendrait d’appeler avec Jung, un processus d’individuation, qui accompli les polarités animus et anima de son identité, « C’est une poussée innée de la vie que de produire un individu aussi complet que possible ». C.G. Jung

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La bipolarité anima/animus se retrouve derrière de nombreux mythes ou rites, hermaphrodisme, androgynie, couples primordiaux, hiérogamie. L’anima est l’aspect féminin de la psyché masculine, l’animus le côté masculin de la psyché féminine.
Le couple anima-animus compose l’âme comme une réalité duale, métaphoriquement bisexuée, dissociée tout autant par l’ignorance que par l’excès de discernement « dialectique-diabolique » : tout l’enjeu de son accomplissement est la « coïncidentia oppositorum » des alchimistes, conjugaison des contraires, mais dans une plénitude, sans que ceux-ci cessent d’être eux-mêmes.
« Et lorsque vous ferez de l’homme et de la femme une seule chose, en sorte que l’homme ne soit pas homme et que la femme ne soit pas femme […], alors vous entrerez dans le Royaume » Évangile de Thomas.
La transformation dont on parle ici ne peut être saisie que sur un mode symbolique, c’est-à-dire par une forme d’accès à la connaissance associant là aussi les binômes percept et concept, sensibilité et logique.

Un individu accède à différents stades de complétude quand il s’affranchi des figures masculines ou féminines extérieures (père, mère, partenaire, star, état, église…), qui sont autant de formes-archétypes et qu’il les intègre symboliquement.

En gagnant en liberté et en pouvoir, valeurs relevant de l’imaginaire « masculin », les femmes ont intégré leur animus et accompli un parcours important vers un nouveau stade de réalisation du Soi.
Photos Lejaby

Les années 60 ont vu un mouvement d’émancipation et de redéfinition de la femme comme un “individu entier et autonome”. Cette oeuvre se réalise un peu plus aujourd’hui, non pas sur le mode réducteur de la révolte égalitaire, mais à un stade où la société reconnaît un peu mieux l’égalité des sexes dans les différences.

Ce que disait Simone de Beauvoir dans le Deuxième sexe, “On ne naît pas femme : on le devient », semble en voie d’être dépassé pour laisser apparaître une « 3eme femme », « sujette d’elle même et autocrée » (Gilles Lipovetsky).

Cette tendance à représenter dans un même message, par la dualité, tous les pôles du féminin est peut être une sorte de nouveau “manifeste du féminin”, le resituant à son juste niveau et renouvelant un discours qui était jusque là réducteur.

Ce troisième stade ouvre de nouvelles perspectives pour l’homme et le couple, à en croire Octavio Paz, “il n’y a pas d’amour sans liberté féminine”, ou encore Betty Friedan, « Lorsque les femmes ne vivront pas seulement à travers leur mari ou leurs enfants, les hommes n’auront plus peur de l’amour ni de la force des femmes et n’auront plus besoin de la faiblesse de l’autre pour être sûrs de leur propre masculinité (in La Femme mystifiée).

Osiris va t’il être secouru par cette nouvelle Isis ? les hommes vont-ils trouver eux aussi par son entremise magique une nouvelle complétude ?