François Mitterrand et le design

Bon d’accord, ce n’est pas une actu du jour …Mais ce n’est pas tous les jours que le design rencontre le plus haut responsable politique français ! Et que ce dernier demande à des professionnels de lui créer son emblème. Michel Disle s’en souvient et pour la première fois raconte la genèse de cette belle création. Flash back.

Création de l’emblème de François Mitterrand Président de la République, 1981

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André Rousselet.

La mission confiée à Gérard Caron et à Michel Disle, par André Rousselet, directeur de cabinet du Président de la République fut un des plus grands challenges des années 80 de Carré Noir. Et pour moi, l’occasion de mettre enfin en pratique mes connaissances héraldiques. Pour autant, il ne fallait pas faire du « vieux » ; Une dizaine de créateurs avant nous avaient connu l’échec auprès du président !

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Dans le briefing – sans concurrence marketing désigné ! – nous savions que les préférences de François Mitterrand allaient vers un symbole représentant Athena ou le hibou, image celte de la sagesse et de la vision …Gérard et moi souhaitions une imagerie plus proche du concept de « la force tranquille », thème de la campagne. Après des recherches plus poussées je notais la présence d’un arbre dans les armoiries de Château-Chinon où François Mitterrand fut maire, ainsi que dans des armes familiales.

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Et pourquoi pas un arbre ?

L’arbre en tant que symbole fut d’emblée retenu par le Président. Mais quel arbre ? L’olivier faisait trop méditerranéen, le cèdre trop libanais ! Quel arbre choisir ?

Je savais intuitivement qu’il devait avoir des racines apparentes, ce qui peut sembler évident pour un arbre , mais n’est pas pour autant systématique. Bref il devait avoir une origine.

En revanche, il ne devait pas tirer le sens de l’emblème vers un passé trop lointain ou …royaliste ! Donc le traité graphique serait actuel et stylisé.

Or, je savais qu’en France, dans symbolique républicaine, on trouvait fréquemment l’association de végétaux sous forme de rinceaux : le laurier et l’olivier pour la gloire et la paix, associés au chêne pour la justice, la force, le pouvoir – On les trouve dans le sceau de la république, dans les monnaies et médailles, à la Légion d’Honneur, à la tribune de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

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Un symbole double …

Aussi, pourquoi ne pas faire un arbre composé de deux essences ? Ce qui est tout à fait admis en héraldique, voir l’exemple des armes des Cinque-ports en Angleterrecomposées d’une moitié de corps de lion terminée par une moitié de coque de bateau.

L’idée était trouvée : un arbre composé des deux « essences républicaines »pour pouvoir s’inscrire dans la tradition française : le chêne et l’olivier. Ces deux arbres évoquent à merveille les deux thèmes présidentiels, la force et la paix (la force tranquille), et sa croisade nord-sud.

Ensuite, c’était le choix d’un traité moderne, très épuré, mais où l’on reconnaîtrait les essences (par la forme des feuilles et la présence de fruits). Il fallait aussi que le traité ait de la « classe », cet emblème devant, en particulier, frapper le drapeau tricolore présidentiel, son avion personnel, la correspondance de l’Élysée, les cadeaux du Président etc…

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Conclusion

L’enjeu était de taille, le délai court. Mais au jour dit, nous étions prêts.

Nous fîmes une présentation animée en video et diapositives (une première mondiale à l’époque)soignée, à la Carré Noir, évolutive et avec les maquettes de ses déclinaisons.

Devant la qualité du travail, André Rousselet nous demandait de refaire la présentation au Président
lui-même. Ce qui fut fait le 19 décembre 1981, devant un président affaibli par la maladie mais passionné par le sujet. Le service du protocole nous avait donné vingt minutes pour la présentation…Trois quart d’heures plus tard François Mitterrand continuait de nous interroger sur la symbolique républicaine nationale… Mon petit arbre bleu -couleur de la France- allait commencer sa prestigieuse carrière, même si au départ le Président l’eût préféré vert ! Mais finalement il devait se plier de bonne grâce à notre argumentation.

Quant à moi, je savais tout ce que je devais à l’héraldique… Elle m’avait permis de mener à bien cette mission… très spéciale et unique dans la carrière d’un designer !