Protéger ses créations de la contrefaçon…

Ryane Meralli juriste, du cabinet Carler, défend les droits des créateurs et des marques ; elle s’est exprimée à plusieurs reprises sur ses sujets dans Admirable Design. Mais les choses évoluent sur le terrain du droit et parfois dans le bon sens.

Un article à lire et à conserver à portée de clic !

admirable_design_casque.jpg
Si les droits de la propriété industrielle sont habituellement reconnus et protégés, leurs atteintes donne lieu à des interprétations et en rend les preuves souvent délicates.

La protection des dessins et modèles, comme celle des marques, contre des reproductions ou des imitations est assurée par les actions en contrefaçon prévues aux articles L 513-5 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
Avant l’ordonnance du 25 juillet 2001 transposant la directive européenne du 13 octobre 1998 portant adaptation au droit communautaire du Code de la Propriété Intellectuelle notamment dans le domaine des dessins et modèles, la jurisprudence admettait plus simplement la contrefaçon, en se fondant seulement sur la reproduction des éléments caractéristiques du dessin ou du modèle et n’exigeait pas la démonstration du risque de confusion.

Cette ordonnance du 25 juillet 2001 a modifié les conditions constitutives de la contrefaçon dans cette matière. En effet, les articles L. 513-4 et L. 513-5 du CPI confèrent aux dessins et modèles « la protection contre tous actes non autorisés de fabrication, importation, commercialisation, utilisation d’un dessin ou modèle identique ou qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle globale différente ». Cette rédaction pose des problèmes d’interprétation et a donc été adaptée par la jurisprudence qui, pour la simplifier, a fait un parallèle avec les critères d’appréciation du droit des marques, notamment le critère de « risque de confusion ». Cette notion fait référence à « l’imitation intellectuelle, suggérant au public l’existence d’un lien entre les marques en cause ou à l’induire à reporter plus ou moins consciemment l’impact attractif de la marque authentique sur la marque imitante » (2). Il reste à préciser qu’en droit des marques, le risque de confusion n’est à démontrer que dans les cas d’imitation de marques et non de reproduction à l’identique car dans cette hypothèse le risque n’est pas une condition constitutive de la contrefaçon. L’évolution de la jurisprudence concernant l’appréciation de la contrefaçon des dessins et modèles de 2001 à 2006 s’est faite en plusieurs étapes, dont certaines se rapprochent de l’appréciation de la contrefaçon en droit des marques.
admirable_design_lumiere-3.jpg

Tout d’abord, dans un jugement du 15 février 2002, le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté Madame F. de sa demande en contrefaçon d’un modèle de table d’appoint à l’encontre de la société H. au motif que ce meuble « bien que s’inscrivant lui aussi dans la tradition des meubles scandinaves, et utilisant des éléments connus des meubles de ce style, diffère sensiblement du meuble protégé et n’engendre pas une impression d’ensemble de nature à conduire l’acquéreur de ce meuble à croire qu’il s’agit d’un meuble commercialisé par Madame F. ». Par ailleurs, les juges précisent la notion d’ « observateur averti » que l’on trouve dans l’ordonnance de 2001, sans toutefois l’assimiler au consommateur de référence visé dans l’appréciation de la contrefaçon de marques, mais entendu comme « un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré » (1). Une première différence subsiste ici.

Puis, les juges du second degré ont confirmé cette nouvelle jurisprudence, notamment dans un arrêt du 29 juin 2005 de la Cour d’Appel de Paris qui a jugé que « la contrefaçon est caractérisée lorsque les ressemblances entre les dessins opposés sont dominantes et que les dissemblances ne parviennent pas à effacer une même impression visuelle d’ensemble qui se dégage de la comparaison de ces dessins, de sorte qu’il en résulte un risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne qui peut leur prêter une origine commune » (2). Les juges du fond iront même plus loin en reprenant de manière explicite la notion de risque de confusion mais surtout en remplaçant la définition de l’ « observateur averti », énoncée dans l’arrêt précédent, par celle utilisée pour l’appréciation de la contrefaçon des marques, à savoir « le consommateur d’attention moyenne ».

Enfin, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation viendra consacrer cette analyse par un arrêt du 19 septembre 2006 (3) : les juges suprêmes ont rejeté le pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris déboutant la société Velecta Paramount de sa demande en contrefaçon de modèle au motif que « le risque de confusion s’apprécie au regard du consommateur auquel le produit est destiné, la Cour d’Appel, en retenant, après comparaison des produits en litige, que l’impression d’ensemble qui se dégageait de l’examen des modèles excluait tout risque de confusion dans l’esprit de la clientèle de professionnels auxquels ils étaient destinés, a légalement justifié sa décision ». Depuis, aucune divergence de jurisprudence entre les juges du fond et la Haute Juridiction n’est réapparue sur l’appréciation de la contrefaçon en matière de dessins et modèles.
admirable_design_tribunal.jpg

Pourtant, cette jurisprudence est contestable sur deux points. D’une part, l’emprunt qui est fait au droit des marques est plutôt mal venu, car la défense des dessins et modèles revêt un but autre que la protection des marques qui a vocation à rassembler une clientèle autour d’une marque, c’est-à-dire autour d’un produit ou d’un service, en garantissant leur origine. Alors que l’objet du droit des dessins et modèles est moins lié aux consommateurs qu’à la défense d’une œuvre de l’esprit. Ainsi, la recherche du risque de confusion n’a de sens qu’en rapport à une marque et lorsque l’enjeu est la sauvegarde d’une clientèle. Cet emprunt de la notion de risque de confusion est aussi gênant dans le cadre d’une action en responsabilité fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code Civil, à savoir en combinaison avec une action en concurrence déloyale (5). Cela revient à appliquer les règles de la responsabilité civile aux dessins et modèles.

Finalement la Cour de Cassation est revenue à une interprétation stricte et autonome des textes tels qu’ils résultent de l’Ordonnance, notamment de l’article L 513-5 du CPI, dans un arrêt du 26 mars 2008 . En l’espèce, une société X a déposé auprès de l’INPI un modèle de couteau le 8 novembre 1996. Une autre Société Y réalise un modèle présentant de nombreuses ressemblances avec le modèle protégé. La Société X assigne la société Y en contrefaçon afin d’obtenir des dommages et intérêts. La Cour d’Appel de Lyon juge le 26 octobre 2006 qu’il existe bien une contrefaçon, car les caractéristiques essentielles du couteau sont reprises et que les couteaux contrefaisants engendrent la même impression d’ensemble.
La Société Y forme alors, un pourvoi car elle estime que la Cour d’Appel aurait dû déterminer si l’impression d’ensemble qui se dégage de l’examen du modèle créait un risque de confusion dans l’esprit du public.
La Cour de Cassation devait donc juger si pour déterminer l’existence d’une contrefaçon il était nécessaire de rechercher si les ressemblances provoquaient une confusion dans l’esprit du public visé (7). La Cour de Cassation affirme, dans un attendu parfaitement clair, qu’il n’est pas nécessaire de rechercher l’existence d’un risque de confusion : « Ayant relevé que les produits litigieux reproduisaient les caractéristiques essentiels du modèle déposé et engendraient la même impression d’ensemble, la Cour d’Appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante portant sur l’éventualité d’un risque de confusion, a, de ces seules constations exactement déduit l’existence d’une contrefaçon ». Il suffit donc, selon la Cour de Cassation, pour caractériser la contrefaçon des dessins et modèles de démontrer d’une part la reproduction des caractéristiques techniques essentielles, et d’autre part l’existence d’une même impression d’ensemble (8). Elle opère donc un revirement de jurisprudence dans cet arrêt du 26 mars 2008 en éclaircissant les règles applicables aux dessins et modèles. Désormais la notion de risque de confusion n’a plus lieu d’être appliquée aux dessins et modèles.