Industrie & design : design de l’ombre ?

Olivier Frénoy est un designer de machines outils, d’engins industriels lourds, même s’il oeuvre par ailleurs dans un design plus léger…Il a obtenu un très remarqué prix à l’Observer du Design 2002. Le design industriel, enfin reconnu , loin des strass et des médias ? Pour Admirable Design toutes les formes de design ont leur noblesse et leurs spécificités. Questions à Olivier Fresnoy.

Le design de l’industrie …

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Dans quels secteurs d’activités s’exerce votre forme de design ?

Olivier Frénoy : Dans de nombreux secteurs : de grands groupes industriels comme THALES Communications, Avionics, Airsys ATM… représentatifs d’activités high-tech, des PME-PMI comme Renault Automation Comau, Hygiaphone, Cognacq Jay Image…avec des produits allant de la machine-outils à la bureautique, et des services publics comme la RATP, EDF, la Compagnie des Batobus… où la demande concerne des équipements citoyens comme le mobilier urbain ou la signalétique.

Ce panel est très varié, et met en avant la spécificité de notre profession : résoudre une problématique au travers du développement d’une demande ou d’un produit , et ce, quel qu’il soit !
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Comment se porte le marché du design aujourd’hui ?

Olivier Frénoy : Il est admis et prouvé que le design industriel est incontournable dans la conception des biens de consommation grand public. DARTY et la FNAC sont les temples du design. Un téléphone, un appareil photo, un téléviseur…tous ces produits ont été dessinés par un designer et aucun industriel n’envisagerait un seul instant de ne pas faire appel à eux.

Le marché se décompose en deux profils : ceux qui ont compris l’intérêt stratégique du design dans le développement de leurs produits, en général les grands groupes (Thomson Multimédia, Philips, Apple, Décathlon…) et qui l’intègrent de manière systématique, et l’ensemble des PME-PMI qui font appel au design, soit par nécessité, soit pour être dans l’air du temps, ou pas du tout parce qu’ils estiment que cela n’est pas nécessaire.
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Comment les industriels intègrent-ils le design aujourd’hui ?

Olivier Frénoy : Lorsque l’on regarde les « produits de l’ombre », expression qui regroupe tous ces produits qui n’ont pas une visibilité grand public affirmée, comme par exemple une machine-outils, un extincteur et nombre de boîtiers industriels, la réponse apportée est souvent très proche de celle du cube, fabriqué au prix le plus juste.

Nous rentrons dans un monde de techniciens et d’ingénieurs, où l’analyse de la valeur et la maîtrise budgétaire tiennent lieu d’exutoire. Le coeur technique du produit à travers la fonctionnalité qu’il procure est la réponse suffisante qui est manufacturée. Pour beaucoup d’industriels, faire appel à un designer est une dépense superflue qui grèvera le coût de revient de leur produit.
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Resentez-vous une évolution dans leur approche ?

Olivier Frénoy : Oui, nous sommes dans une période en pleine mutation où les mentalités évoluent. Chaque secteur a son salon annuel qui regroupe tous les industriels de la même profession. Chacun observe ses concurrents et leurs avancées technologiques, et si l’un d’entre eux propose un nouveau produit qui intègre un design distinctif et novateur, cette démarche le pousse à investir dans le même sens et à faire appel, lui aussi, au design industriel.

La première fois est un instant critique, car nous devons les convaincre de la valeur ajoutée de notre prestation, et leur prouver du bien fondé de notre démarche.

Qu’argumentez-vous pour les convaincre ?

Olivier Frénoy : Ils sont conscients que leurs produits méritent mieux. S’ils n’investissent pas pour développer des matériels plus innovants, intégrant de nouvelles technologies en adéquation avec les attentes du marché, toutes ces PMI sont condamnées à disparaître ou à se faire racheter par des sociétés étrangères qui sauront innover à leur place.

Notre rôle est de les convaincre d’associer le design industriel à l’innovation. Les mentalités évoluent, et c’est très souvent la relation de confiance développée avec le responsable de l’entreprise ou du projet, qui permet de sauter le pas.

Il est essentiel que le designer retenu soit compétent dans son domaine, possède un savoir-faire technique, et s’adapte à la demande de l’entreprise pour séduire, rassurer et imposer subtilement une réponse qui dépassera les attentes de l’industriel.
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Quels sont les retours sur investissements espérés ?

Olivier Frénoy : Nombreux, et dans plusieurs domaines. Naturellement l’augmentation de leurs ventes et le développement de nouveaux marchés. Mais je reste pragmatique, un produit qui aujourd’hui n’est pas innovant et non designé a de moins en moins de chance de séduire. La fonctionnalité associée à une forme ergonomique, esthétique et adaptée devient un standard de base nécessaire pour vendre un produit correspondant aux attentes du consommateur.

En terme d’image, les retours sont importants : communiquer par le design, renforcer sa notoriété, se faire remarquer par la presse professionnelle, être sélectionné à l’Observeur du Design… Notre intervention à l’intérieur de l’entreprise sert de catalyseur aux équipes commerciales, techniques et marketing, les oblige à revoir leurs approches habituelles, les remet en question et leur permet d’innover pour la bonne cause. Sélectionner de nouveaux matériaux, de nouveaux moyens d’obtentions, investir dans la R&D…tous ces axes contribuent à proposer une réponse qui fédèrera tous les membres de l’entreprise. Ceci n’a pas de prix et lorsque tout le monde adhère au projet, tout devient beaucoup plus facile, et lorsque le produit sort sur le marché, la différence est là !

Par exemple, est-ce que Philippe Starck serait capable de réaliser ce genre de design ?

Olivier Frénoy : Nous ne faisons pas le même métier et ne travaillons pas sur les mêmes critères. Starck a une approche de designer-artiste-talentueux qui se met en avant à travers ses créations trop souvent élitistes. Démarche attendue naturellement par tous ses clients-industriels qui veulent faire estampiller leur produit du fameux Design by Starck, signature qui normalement décuplera leurs ventes, attirera de nombreuses retombées médiatiques et dynamisera leur image auprès du public.

Notre démarche est différente. Notre rôle de designer industriel est de servir l’utilisateur final des produits fabriqués par l’industriel. Nos cahiers des charges intègrent de nombreuses contraintes techniques, dimensionnelles, fonctionnelles, budgétaires et de fabrication, avec des honoraires qui n’ont rien à voir avec ceux pratiqués par Starck.
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Avez-vous, ce que l’on pourrait appeler votre propre philosophie du design ?

Olivier Frénoy : Notre jeune profession se développe, mais dans une mentalité différente de celle des anglo-saxons. Nous nous heurtons à une certaine inculture de l’appréciation de notre métier. Tout se joue dans la relation que nous développons avec notre client et dans sa perception à comprendre que notre intervention n’est pas de faire de jolis dessins, mais engage à une démarche beaucoup plus profonde.

C’est au marketing de cerner les besoins, de définir un cahier des charges et d’initier le design. J’attends qu’il s’investisse davantage dans ce domaine. Je reste optimiste car il y en France un potentiel important de développement dans les PME-PMI, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.

Concilier le talent créatif, les choix technologiques et la réflexion stratégique, telle est ma définition actuelle du design.

olivier@concept-frenoy.fr