Concrétiser le design virtuel ? !

Le regard de Béatrice Mariotti, vice-présidente de Carré Noir, est aussi perçant que sa pensée conceptuelle…

Dans cet article il se pose sur un sujet au cœur de nos métiers : le rapport du design, du virtuel et de la « rematérialisation ».
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
A méditer…

LE DESIGN VIRTUEL SOUS LE SIGNE DE LA REMATERIALISATION.

Le besoin d’apprentissage qui faisait d’internet un vecteur générationnel a disparu au bénéfice d’un fonctionnement spontané et naturel pour tous. A l’heure où ce réseau mondial est devenu le champion inter medias, un design de l’imitation fleurit pour les interfaces virtuelles. Il consiste à reproduire de façon réaliste des objets et des matériaux issus de technologies plus anciennes.

admirable_design_voiture-retro.jpg

Les designers le savent, un objet nouveau empreinte souvent sa forme à un objet plus ancien. La nouveauté a besoin de s’inspirer dans un premier temps de ce qu’elle finira par déclasser. Ainsi, avant de s’en affranchir, le design des premières automobiles s’inspire t-il de celui des voitures tirées par des chevaux.

Un processus conceptuel mais aussi un cheminement émotionnel qui rend familier une innovation et favorise son appropriation par l’utilisateur. Le dialogue formel et sensoriel qui s’installe alors entre l’innovation et son ainé de référence peut aussi se révéler durable : Le smart phone reproduit toujours le déclic de l’obturateur d’un appareil photo reflexe.
Leica, décline à l’identique le design de son modèle mythique avec une technologie totalement numérique.
admirable_design_leica.jpg
Dès la création d’Apple, Steve Jobs avait compris ce mécanisme humain qui croise les racines et les ailes. En renonçant sur ses écrans à l’interface codée pour installer celle imagée des icônes, il faisait passer l’ergonomie informatique du cercle fermé des mathématiciens à la sphère du grand public. Créant un pont entre virtuel et personnel.

Aujourd’hui, la marque à la pomme poursuit cette « rematérialisation du virtuel ». Pour son service iCloud, elle développe une interface très réaliste (matières à toucher de l’œil, objets familiers : agenda en cuir, carnet de notes, finitions cousues main) dans un registre artisanal et vintage. Une belle façon de retrouver des repères concrets dans un contexte immatériel, saluent les uns. Un partis-pris d’arrière garde, s’exclament les autres, lui préférant un design purement digital. Un débat esthétique, idéologique et identitaire qui n’oppose pas que les deux géants Apple et Microsoft.
admirable_design_cloud_apple_a.jpg
Cette reconnexion avec le réel via un design parfois empreint de nostalgie révèlerait-elle une tension ? Il faut dire qu’internet (le réseau des réseaux aux services extra larges) entre chaque jour un peu plus dans notre intimité. Il est devenu un objet, un accessoire ultra personnel : installé dans notre foyer, emporté dans notre sac, lové dans notre poche. S’il a le pouvoir de nous ouvrir une fenêtre infinie sur le monde, il pénètre aussi notre jardin secret. Un jardin qu’il a le devoir de protéger.
admirable_design_my-little-paris_radio.jpg
La frontière ténue qui sépare dorénavant l’espace public de l’espace privé explique peut-être ce goût pour la représentation des objets d’hier. Objets faits à notre main, apprivoisés, encrés, rassurants. A moins qu’il s’agisse (à l’instar de My Little Paris qui accompagne sa sélection musicale d’un tourne disques de l’époque des vinyles) de retrouver l’optimisme idéalisé d’une époque épargnée par la crise. Un peu les deux sans doute.