Pourquoi le consommateur n’accepte pas un nouveau design …

Un sujet dont on ne parle jamais : le design raté. Admirable Design a demandé à un ingénieur socio-psychologue, Alain Meunier, de répondre à cette question : quand un utilisateur ou un consommateur considère-t-il que le design ne lui convient pas ? Attention certaines idées bien ancrées dans nos habitudes seront remises en cause. Cet article a été rédigé pour être compris de tous, mais il demande un minimum d’attention tout de même …

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QUAND FAUT-IL CHANGER DE DESIGN ?

ou le design réussi et …l’autre.

Nous nous proposons de répondre à cette question par rapport l’approche affective du consommateur associée à un design donné ! C’est à dire à quel moment a-t-il envie ou est-il prêt, à un changement de design ?

Nous savons bien que le design peut être changé en fonction de critères stratégiques, commerciaux et marketing (différenciation concurrentielle, relance d’un ancien produit, création d’évènementiel…) et donc nous ne chercherons pas à répondre de manière générale sur l’ensemble des critères à prendre en compte au moment d’une telle décision.. Dans la pratique la situation est toujours plus complexe que ceci, mais le raisonnement à conduire sur les autres critères est bien connu et a déjà été largement développé.

Les deux faces du design …

Tout d’abord différencions la valeur du produit et valeur design. Cette différenciation est souvent artificielle dans la pratique, les consommateurs mélangeant savoureusement les deux dans les critères qu’ils utilisent pour décider ou justifier d’un achat. Elle est cependant nécessaire pour séparer les phénomènes cognitifs (ce que l’on sait), le plus souvent associés au côté fonctionnel ou rationnel de l’objet et l’aspect affectif (ce que l’on ressent), le plus souvent associés au côté immatériel, « symbolique » de l’objet : sa forme, sa couleur…

Les phénomènes de mémorisation, les effets induits et les possibilités de rectification ne sont pas les mêmes sur la dimension cognitive que sur la dimension affective.

Design positif ou …design difficile ?

Nous devons aussi distinguer les situations ou le design est reconnu comme positif ou à l’inverse comme ‘difficile’. Nos connaissances actuelles sur les affects établissent que les phénomènes ne sont pas symétriques selon la valence (positives / négatives) des affects.

Les affects positifs (ou agréables) sont liés au mécanisme de récompense et de bien-être.

Les affects négatifs (ou désagréables) sont eux liés aux mécanismes de danger et de survie. Cette différence de nature associée -survie ou récompense- conduit à des conséquences très différentes.

Le design raté est plus universel et ne s’oublie pas …

Dans le cas de la survie, les prédispositions d’actions sont plus fortes et plus universelles.

Le design des produits déclenchant des affects désagréables sont davantage mémorisées ! Il est plus donc plus difficile de revenir sur l’acquis, de rectifier l’objet / l’image, d’influencer à posteriori les comportements des consommateurs qui auraient été influencés par un « mauvais design » ou un design raté ! !

… alors que le design réussi est plus personnel …

Les affects positifs en revanche sont souvent moins universels et plus liés à l’individu et éventuellement à l’instant. La récompense n’est en effet pas produite par le même objet en fonction des individus, de leur personnalité, de leur culture ou même du moment concerné. Il sera donc plus facile de revenir sur l’acquis. _ D’autre part les affects positifs provoquant une situation de bien-être et d’ouverture le changement est aussi mieux toléré.

Le design recherche à jouer davantage sur les affects qui déclenchent l’ émotion chez l’utilisateur plus que sur le cognitif . C’est à dire la forme, la couleur, le toucher plutôt que les caractéristiques.

Les affects agréables, et c’est leur intérêt, provoquent un automatisme d’approche et des effets amplificateurs d’attirance.

Mais le designer doit donc cependant aussi accepter de subir les conséquences de ces mécanismes amplificateurs quand son design est reconnu médiocre ou mauvais par les consommateurs. Dans ce cas ce ne sont pas des phénomènes d’approche que son design aura créé mais un phénomène d’évitement, comme dans le cas d’affects désagréables !

Les quatre types de designs ratés

ou difficiles à accepter par le consommateur.

1. Le cas d’un produit reconnu satisfaisant par les consommateurs au niveau fonctionnel mais dont le design « passe mal » ou est « raté ».

Certains pourront se dire que si le produit est bon ce n’est pas grave car le design sans être « accessoire », n’en est pas pour autant « premier » (pour le packaging par exemple). Nous laisserons les spécialistes du design expliquer à nouveau à ces esprits chagrins le rôle et les apports du design.
Erreur !

Si le design « passe mal », il n’y a pas d’affect positif crée. La situation est au mieux celle de l’indifférence. On se prive alors de l’attirance provoquée par les affects positifs, effet possible et gratuit (par rapport à la publicité !) d’un design réussi.

Nous insisterons sur la difficulté, voire l’impossibilité de créer un attachement à un produit quand il y a contradiction entre la dimension rationnelle et affective. L’attachement est signe d’affects positifs associés au produit. La satisfaction technique ou fonctionnelle est implicite pour le consommateur. Elle ne crée pas d’affect positif, elle évite les affects négatifs dus à la non-satisfaction.

Un design mal accepté ne se corrige pas par une campagne de communication .
Il n’est pas possible de rectifier un affect désagréable par la communication ou en laissant faire le temps
. Contrairement à ce que certaines sociétés dans cette situation s’efforce de faire à grand renfort de publicité informative. D’un point de vue strictement affectif, cela est aussi efficace que de communiquer, par exemple, que nous ne devons pas avoir peur d’un lion…ou qu’à force d’être en présence d’un lion nous n’aurons plus peur. A l’inverse, certaine agence essayent parfois de ‘coller’ un affectif différent à l’objet au moyen d’une image ou d’un slogan associé. Cette fois cela revient à mettre un sticker ‘lion gentil’ !

Dans le cas d’un design « raté », ce n’est pas d’une bonne agence de publicité qu’il faut se doter mais d’un bon designer !

Le design doit être changé le plus tôt possible. Cette modification doit être importante, radicale pour éviter l’emport des affects négatifs. La communication sur le rationnel ne devra en aucune manière rappeler « l’ancien produit ».

2. Le cas d’un produit reconnu très innovant par les consommateurs au niveau fonctionnel mais dont le design « passe mal ».

Par exemple : Vel Satis de Renault.

Comme dans le cas précédent le design doit être revu mais ce cas est plus ambigu. Nous avons sans aucun doute des affects désagréables associés au design. Nous avons sûrement aussi des affects agréables associés au produit, du moins pour une partie des consommateurs. Ceux qui valorisent l’innovation en général ou plus spécifiquement l’innovation apportée seront partagés dans leurs affects. La question sera donc de connaître ce qui l’emportera le positif associé à l’innovation technique ou le négatif associé au design. La question n’est donc pas doit-on revoir le design, il doit être revu, mais dans quelle proportion doit-il l’être.

Contrairement au cas précédent, il ne faut probablement pas autant de rupture. Le premier produit innovant pouvant bénéficier d’un « plus » durable.

3. Le cas d’un produit dont le design est reconnu très satisfaisant par les consommateurs mais qui connaît des incidents de début de série au niveau fonctionnel.

Par exemple le Cub D’Apple.

Cette fois la situation est moins dramatique. L’effet amplificateur des affects est positif pour le produit et pour le changement. Le problème identifié par les consommateurs est principalement du domaine du cognitif et non de l’affectif.

Les problèmes de mise au point peuvent donc être réglés et ensuite (mais seulement quand la situation est réellement stable, deux erreurs sont souvent fatales !) Il est possible de solutionner la situation par une campagne de communication et d’explication.

Les consommateurs oublient rapidement de telles informations sous réserve que la réaction intervient rapidement et sans rumeur ou difficultés d’après vente trop forte. Il est en effet possible par un processus trop lent ou un après vente ‘douloureux’, de générer des ‘souffrances’ créant ainsi un affect négatif fort et partagé au produit, affect qui pourrait noyer, effacer l’affect positif de design.

4. Le cas d’un produit reconnu insatisfaisant par le consommateur.

Par exemple l’Avantime (pour partie) , Sevea de Danone ( « yaourt » de soja lancé début des années 90.)

Ce cas est le plus simple, celui où il n’y a pas d’affects positifs nés de la valeur de design ou nés de la valeur technique. La seule chance que l’on peut encore avoir est qu’il n’y ait eu aucun affect crée. Dans ce cas la marque elle-même n’est pas sérieusement touchée et en pariant sur le caractère sympathique d’amnésie des consommateurs, il est encore possible (d’un point de vue non-financier s’entend ) de tout recommencer !

Alain Meunier auteur d’un livre sur la mesure des affects au travail (référence : in RH ; les apports de la psychologie au travail, éditions
d’Organisation, septembre 2003)
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