Rentrée sans marque ?

Depuis 3 ans, l’association Casseurs de pub mène une campagne pour une rentrée scolaire… sans marque. Voici comment un ancien publicitaire décide de s’attaquer aux rouages d’une machine qui semble n’avoir plus aucune limite (morale ?).

En 1930, les troupes de jeunesse des pays totalitaires marchaient au pas, fascinées par les insignes cousus sur leurs chemises, se soumettant à l’ordre social. Soixante-dix ans plus tard, une nouvelle idéologie a pris place. Elle ne dit pas son nom, parle de liberté et de bonheur, mais conduit à la même soumission que ses prédécesseurs. Les insignes ont juste changé. Alors passe dans le camp d’en face. Le même défi t’attend que ceux qui comme toi dans l’histoire ont résisté.

La traduction en américain de marque est brand, mot venant de brandon, outil employé pour marquer le bétail au fer rouge.

« L’industrie n’a qu’une très faible influence sur les programmes enseignés, et les enseignants ont une compréhension insuffisante de l’environnement économique, des affaires et de la notion de profit »,

Table Ronde Européenne des Industriels

« L’exclusion commence avec l’impossibilité d’acheter un objet référent (une paire de Nike ou de Reebok, par exemple, pour un jeune), qui vous met en situation de marginalité. »

Jean Rochefort, directeur du Credoc – Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.

Nique Nike !

Quelle réussite plus éclatante pour le tyran que celle d’être adoré par ses victimes ? Les jeunes rejetés et exclus par l’économie des multinationales adorent leurs bourreaux dont ils portent les emblèmes sur leurs vêtements. La perversité de cette réussite aurait fait rêver plus d’un dictateur.

Les multinationales du tabac destinent toute leur communication aux jeunes. Le nombre d’individus commençant à fumer après l’adolescence est en effet marginal. Les manufactures de cigarettes ciblent donc délibérément ce passage de notre existence difficile, où nous cherchons des palliatifs pour répondre à un malaise social, pour rendre leurs futurs « clients » dépendants, et donc assujettis, à vie. De cette même manière, d’autres multinationales jouent avec cette période de notre existence où nous nous trouvons particulièrement vulnérable. Même si cela n’est pas pour vendre une drogue licite, elles manipulent les inconscients à seul fin de profitabilité. «  L’industrie a de plus en plus recours à des anthropologues, des psychanalystes, des neuropsychologues, des gens d’une extrême compétence qui jouent avec maestria sur les peurs et les désirs des enfants.  » Linda Coco – Center for Study of Responsive Law. Les capacités financières de ces multinationales permettent d’asséner massivement et de manière répétée leurs messages et la représentation symbolique de ces firmes : le logo. Celui-ci se confond alors totalement avec un emblème, auquel la marque attribue des « valeurs » (factices ou intéressées bien évidemment, car le seul intérêt d’une multinationale est de reverser des dividendes à ses actionnaires). «  Les gens du marketing se sont aperçus que ce qui marchait le mieux avec les enfants, c’était le bombardement du logo de la marque. » Michael Jacobson, directeur du Center for Science in the Public Interest. Les adolescents, en recherche de socialisation, se dirigeront naturellement vers les emblèmes de ces firmes, facteurs d’intégration au groupe.

Mais combien de jeunes se questionnent sur la face cachée de ces emblèmes brodés sur leurs casquettes, vêtements, sacs ? à la différence de nos anciens dictateurs, le tyran moderne se cache et ne laisse apparaître que sa marque. Si le despote laissait voir un visage humain, avec nécessairement ses faiblesses, la multinationale présente la face lisse et glacée du totalitarisme parfait. Elle ne se présente qu’au travers d’images longuement travaillées et réfléchies par des professionnels. La représentation déshumanisée de la firme est juste. La réalité d’une multinationale n’est qu’une somme d’actions cotées en bourse. Cette entité financière est servie par des individus prisonniers économiquement, ou y ayant des intérêts égoïstes, ou encore des personnes fanatisées et considérant la firme comme une fin en soi. Contraints ou volontaires, ces individus contribuent alors à un système favorisant la concentration des richesses, le travail d’enfants dans les pays du sud du globe, la destruction de la nature, et finalement l’endoctrinement de la jeunesse pour perpétuer ce système.

Si l’adolescence est une période particulièrement visée par les firmes, l’enfance constitue aussi un moment où l’être est particulièrement influençable.  » lls (les enfants) pourraient bien être le dernier marché restant sur terre. (…) Face à la publicité, les adultes sont circonspects, flairent l’arnaque et le baratin. (…) Les enfants, eux, regardent la télé et s’exclament juste : C’est super !…  » Barbara Caplan, vice-présidente de l’entreprise de marketing Yankelovitch Partners. La télévision et les films dégoulinant déjà de réclames, les firmes n’hésitent plus à enfoncer les portes des établissements scolaires. Des enfants d’une classe maternelle ( !) parisienne ont ainsi reçu de la propagande des chaînes de restauration Hippopotamus et Mac Donald’s, et de la firme Elf Atochem (1).  » Nos études montrent qu’une conscience des marques pourrait commencer à se former avant la fin de la première année. Par conséquent, lorsqu’un enfant atteint dix-huit mois, vingt mois ou vingt-quatre mois, il utilise déjà les marques comme des objets…  » James Mac Neal, Texas A&M University. Aux états-Unis, les écoles primaires sont « câblées » par des entreprises privées. En échange, 1/5 du temps d’antenne est constitué de messages des firmes. En France, certains cours sensibles que ne désirent plus assurer certains enseignants, comme l’éducation sexuelle, sont dispensés par des représentants d’entreprises. Soixante mille adolescentes ont ainsi reçu des échantillons de Tampax offerts dans le cadre d’un « programme éducatif » (2). En dépit de la loi qui interdit toute forme de publicité à l’école, la publicité envahit le système scolaire et universitaire au travers d’opérations de « sponsoring éducatif ».

Une lueur d’espoir : la Suède va prendre le présidence de l’Union européenne en 2001. Elle compte élargir sa législation très restrictive de publicité à destination des enfants. «  La plupart des enfants n’arrivent pas à faire cette distinction (entre la publicité et un programme) avant l’âge de six à huit ans, même si certains y parviennent dès trois ou quatre ans, et ce n’est que vers dix ans que tous les enfants ont acquis cette faculté.  » Marita Ulvskog, ministre de la Culture suédoise. De nombreux pays sont favorables à cette mesure. Les propagandistes publicitaires français commencent à organiser le lobbying pour contrer cette loi (3).

Mais il est temps de comprendre que ces multinationales sont livrées à la seule logique financière. Leurs intérêts sont opposés aux impératifs humanistes et écologiques. Et cette jeunesse, grandissant sous influence, doit s’affranchir de l’idéologie publicitaire, pour démanteler et maîtriser ces firmes et leurs marques.

Raoul Anvélaut

1 – Courriers à Charlie Hebdo – juillet 2000

2 – « Les crimes publicitaires dans la guerre moderne » d’Yves Frémion, Silence – Septembre 1999

3 – Le Monde 28.01.2000 – Florence Amalou

( Ce texte proviens du site www.antipub.net, dossier : Rentrée sans marques 2000. Crée en 1999, Casseurs de pub a été fondé par un ancien publicitaire. )

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