Le maître de la pub et les fusées recyclables

Du duopole de géants de l’Internet à l’espérance de vie des hommes américains en berne, les signaux faibles décelés Philippe Cahen, consultant en design et prospective, paraissent peu réjouissants. Mais c’est sans compter la fusée réutilisable d’Elon Musk.

Philippe Cahen, prospectiviste.

Graine d’avenir ou écume des jours ? Les signaux faibles sont d’abord de la matière à réflexion, et comme le designer est un décodeur et un lieur de signes, toujours à l’affut de l’air du temps, dépendant de l’économie, il n’a qu’intérêt à lire ceux dénichés par un de nos consultants dans sa lettre mensuelle.

Signal faible 1 : pub Internet et télé
C’est historique. Pour la première fois cette année aux États-Unis, Internet dépassera la télévision en dépenses publicitaires. Et pour compléter, Google représente 40,7 % des dépenses sur internet, Facebook 19,7 % (est.). Ce duopole est inquiétant.

Signal faible 2 : Google et Facebook face à l’éthique
Facebook, Google et YouTube sont dénoncés pour le premier d’avoir favorisé Trump, pour le dernier d’accoler des marques à des discours haineux, extrémistes, antisémites. Notamment au Royaume-Uni. La filiale britannique de Havas a retiré ses budgets sur YouTube et Google Display. Theresa May, première Ministre du royaume a convoqué les responsables locaux de Google, le mouvement de protestation s’est étendu. Aux États-Unis, de gros annonceurs boycottent YouTube. Si le risque économique est faible, le risque d’image est fort. Les acteurs du numériques ne peuvent diffuser impunément des discours de haine, encore moins à côté d’une marque. Dans ce monde hyper-réactif un concurrent crédible se développe vite.

Première boutique Amazon Books ouverte à Seattle en 2015.

Signal faible 3 : le poids d’Amazon e-commerce
Amazon a acheminé, en 2016, 2 milliards d’articles dans le monde par sa place de marché. En France, selon Morgan Stanley (l’Américain ne détaille aucun chiffre), il aurait réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros (Monoprix 4,2 milliards), 8 milliards d’euros en incluant sa place de marché. Il serait le premier distributeur non alimentaire français. Le point d’achat d’Amazon est le smartphone ou l’ordinateur. Les points de vente doivent mettre le client au centre de leur logique. Ce n’est plus un slogan. C’est une alarme.

Signal faible 4 : les américains morts de désespoirs
La démographie n’est pas une tendance lourde, même si son évolution est lente. En décembre dernier, les Américains ont constaté un recul de l’espérance de vie à la naissance de 2015 sur 2014. C’est Angus Deaton, prix Nobel d’économie 2015, qui constate dans ce siècle que les Blancs en milieu de vie (50-54 ans) ayant au plus le bac, ont un taux de mortalité supérieur aux Noirs de 30 %, contre inférieur de 30 % en 1999. Ce qui peut expliquer en partie le premier constat mentionné. L’explication vient du manque de moyens pour se soigner et aussi selon Deaton de « morts de désespoirs », alcool, drogue, suicide. Taux américains pour les 50-54 ans : 80 pour 100.000. Taux français et allemand 45. Je laisse le lecteur aller plus loin sur les « morts de désespoir », par exemple chez les agriculteurs français qui se suicident.
(NDLR, vous trouverez le passionnant article d’Anne Case et Angus Deaton (en anglais) ici : en savoir plus)

Fusée de SpaceX à l’atterrissage.

Signal faible 5 : la conquête de l’espace change de dimension
Voir le film Les figures de l’ombre montrant le premier américain dans l’espace assuré par des calculs… à la main !
Ce qu’a fait SpaceX (Elon Musk) – mettre en orbite un satellite avec une fusée déjà utilisée et qui pourrait l’être encore – est d’abord une première historique et surtout une contre-logique à celle d’Arianespace. Musk l’avait annoncé en 2002, aux grands sourires polis de l’opérateur français. Le signal faible est qu’il ne faut pas craindre d’aller à l’encontre des logiques du moment, fussent-elles le fruit d’ingénieurs de très haut niveau.

  Signal faible 6 : la puissance du mot algorithme
Les questions sur l’avenir du travail fleurissent et encombrent les médias de toutes sortes. Les algorithmes tuent le travail. Jamais les programmes n’auraient tué le travail. Mais les algorithmes, c’est tout autre chose… Il y a derrière ce mot une résonance magique et mystérieuse. Résonance amplifiée par le mot robot qui lui est associé. Un robot fonctionne par algorithme. Un ordinateur est simplement programmé.