Un président…

Une tribune de Jean-Louis Frechin sur le nouveau président de la République française, ce qu’il véhicule, ses dossiers à venir et comment le design peut aider au changement.

Making of : au lendemain de l’élection, nous avions demandé à plusieurs designers d’analyser les codes de la campagne d’Emmanuel Macron. Olivier Disle, dans Code Reloaded, puis Gilles Deléris avec Le designer, avaient décryptés les messages distillés par le mouvement En Marche. Jean-Louis Frechin a choisi le modèle de la tribune.

Jean-Louis Frechin, fondateur de Nodesign.

Au regard de la position du design en France, il pourrait être présomptueux pour un designer de parler de politique.
Humaniste, le design européen, père de tous les designs s’est toujours nourri des tensions autour de l’automatisation du travail, des finalités des productions, de l’exploitation des ouvriers, du progrès, de l’intérêt général et plus récemment de l’écologie et du numérique. En cela, le design est un défricheur d’idée, et un indicateur des solutions nouvelles et un acteur de l’économie politique. Mais, avant tout, un designer est un citoyen, conscient de la complexité du monde et engagé dans celui-ci.
Ainsi, au-delà des joies et des déceptions des Français suite aux résultats de cette élection, soyons innovants, réjouissons-nous de l’élection d’un homme nouveau à la tête du pays.

Un président numérique
Plus qu’une véritable rupture, l’élection d’Emmanuel Macron est un rééquilibrage au plus haut niveau de l’État de la réalité de ce que les Français vivent au quotidien. L’ère d’un changement de monde.
Ainsi Emmanuel Macron va ainsi être le premier Président de la République française à savoir se servir d’un ordinateur… Impensable en entreprise, cette situation est inédite à la tête du pays. En cela l’élection d’Emmanuel Macron est un choc pour les classes dirigeantes de ce pays, plus que pour les Français eux-mêmes.
Si François Hollande a eu l’intuition de croire au numérique, l’Amiénois va certainement être le premier comprenant la révolution en cours.
Macron fait partie d’une génération de dirigeants politiques, trop rares, sensibles aux transformations en cours à l’exemple de Fleur Pellerin, Axelle Lemaire, Corinne Erhel (décédée ce 5 mai), Laure de la Raudière, Jean-Louis Missika, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Luc Bellot. Tous ont compris la réalité du changement de monde que nous sommes en train de vivre.
Le numérique, longtemps pris en compte comme un secteur d’activité, est désormais le déclencheur d’un véritable changement d’ère qui bouleverse la géographie, raccourcit le temps et modifie les grands modèles économiques et sociaux. Mais pour autant, le numérique n’est pas que technologique. Il est le nom que l’on donne aux conséquences des mutations qu’il engendre. Elles sont immenses. Il détermine une modification en profondeur de la manière de faire les choses, de traiter les situations et de bâtir des organisations dans les activités sociales, économiques, éducatives, industrielles, de santé et culturelles.

« Nous avons devant nous une montagne », soulignait le candidat d’En Marche dans ses meetings. Le chantier immense qui s’annonce demande un profond changement de culture, de structure d’organisations et un brassage inédit des compétences. Entre 1995 et 2015, années de l’explosion numérique, de nombreux Français, pour le meilleur et parfois pour le pire, ont été en contact avec ce monde qui change ou pire en ont été écarté… Le numérique, comme la révolution industrielle au début du XXe siècle, est un changement profond, mais aussi une opportunité, non pas seulement économique — même si la majorité n’y voit que cela —, mais également sociale et symbolique. Porteuse des enjeux d’émancipations, d’autonomie des personnes, il est un puissant agent transformateur de nos pratiques et de nos façons d’être au monde. À cet égard, il serait souhaitable qu’Emmanuel Macron ne soit pas tant le président des startups qui courent après la Silicon Valley que celui qui réconciliera le « désir de nouveau » avec une « pensée française » singulière et structurante. En cela, il serait un enfant des Lumières.

Un président cultivé
Comme pour François Mitterrand et Georges Pompidou, la culture tient une place importante dans les discours progressistes d’Emmanuel Macron. Ils nous permettent de retrouver l’ »esprit  » et la « culture » française dans la politique, afin d’en rebâtir les repères.
La puissance des questionnements de la philosophie et de la littérature servent la pensée de ses projets. « Le fondement de la culture française, c’est une ouverture sans pareil. Notre culture est toujours parvenue à se dépasser elle-même, à voguer vers le neuf, l’imprévu, l’inconnu, » assurait-il, pendant sa campagne, dans une tribune au Figaro. À l’exemple des architectes, sa pensée se nourrit de la diversité de ses connaissances et de ses expériences.
À l’heure où la plupart des politiques sont des techniciens de l’administration et où la pensée singulière déserte l’entreprise, le nouveau président illustre l’enjeu de « penser le monde » que nous souhaitons bâtir. Il souligne également la dimension stratégique de la création pour notre pays qui est une pensée en action. « Quand on encourage la création, on encourage cette part de rêve qui est en chacun de nous, mais aussi une manière de tout réinventer et de penser son rapport à l’autre, » expliquait-il dans un entretien à classiquenews.com.

Un président attendu
La France avec ses atouts, ses doutes, ses colères et ses peurs du changement a exprimé son refus des extrêmes, ses valeurs et son désir de renouveau.
Emmanuel Macron sera-t-il le président de cet élan ? Loin de la querelle des Anciens et des Modernes, il est difficile de savoir si notre nouveau président est le premier des modernes ou les derniers des anciens.
Il renouvelle plus qu’il ne casse les codes du colbertisme. Sa culture classique nous ancre dans l’histoire, les symboles, dans un parcours singulier. Sa connaissance du numérique, de l’économie nous porte vers l’avenir.
Que de procès ont été faits à ce président dont le libéralisme est souvent comparé à l’extrémisme de son adversaire.
Le libéralisme est un gros mot en France, il a un sens différent aux États-Unis où il allie interventionnisme sur le plan économique et liberté sur le plan des mœurs. Macron, fasciné comme beaucoup de Français par les États-Unis, est de ce libéralisme-là. Il incarne à ce titre les ambitions empêchées de Michel Rocard.

Un président
Le défi de Macron va être la réconciliation des Français avec eux-mêmes et avec le monde. « La France est plus qu’une somme de communautés. Elle est cette idée commune, ce projet partagé, dans lesquels chacun, d’où qu’il vienne, devrait pouvoir s’inscrire. »
Il propose l’invention d’un modèle d’ouverture, de conquête et de libertés, dans le respect d’une profonde envie de justices sociales réinventées. Mais son défi sera aussi de créer les conditions d’une dynamique de l’action par la réconciliation de la culture et de l’économie, des idées et de l’action, de la création et de l’industrie, du nouveau et de l’histoire à partir de nos forces.
Pour cela le design et les designers pourront l’aider. Ils sont prêts. Comme acteur du progrès et du changement, construit par la culture des projets. Ils peuvent contribuer dans des champs d’actions diverses qui vont du social, à l’industrie en passant par l’éducation. Le design peut être le chaînon manquant qui nous aidera à casser les silos et la complexité qui nous paralyse. En cela, il sera alors peut-être un acteur de l’économie politique.