Matières à expressions

Comment le designer choisit-il les matériaux qu’il utilise, quelle est l’histoire qu’il espère raconter avec eux ? Didier Saco nous explique ce qu’il fait dire au chêne et au corian et comment la couleur est aussi un vecteur de sens.

Par Didier Saco, fondateur de l’agence Didier Saco Design.

D’abord, il y a la marque, ce qu’elle fait, son cœur de métier, ses valeurs, ses parts de marché et ses ambitions.
Ensuite, il y a le bâtiment, ses usages, sa vocation et ses usagers – ceux qui vont y travailler tous les jours, ceux qui vont y venir une seule fois, pour un rendez-vous, un entretien, et celles et ceux qui n’y entreront jamais mais passeront devant tous les jours ou le verront dans les média.
Enfin, il y a le projet de l’architecte, la forme du bâtiment qu’il a conçu, les matériaux, les circulations et les liens entre les extérieurs et les intérieurs.
Le challenge du designer est de savoir créer, à partir de ces trois composants, le récit du bâtiment. La matière est le matériau majeur pour écrire l’histoire de nos projets.

Entrée des laboratoires de recherche et développement du Groupe Roullier.

Pour cette histoire, la marque, c’est le Groupe Roullier qui crée des composants organiques.  Sa matière première, le maêrl, riche en calcaire, est constituée de débris d’algues marines qui se forme notamment sur les côtes de Bretagne et que Daniel Roullier a eu l’intuition, en 1959, de traiter de manière industrielle pour le transformer en élément nutritif animal et végétal. Aujourd’hui, le groupe est  international (présent dans 114 pays), emploie 8 000 collaborateurs et fait partie des 25 premiers industriels français.
L’usine et le siège sont situés à Saint-Malo, en Bretagne, et c’est là qu’a été construit son centre mondial de l’innovation qui regroupe ses laboratoires dans un bâtiment conçu par l’architecte rennais Jean-Pierre Meignan. Pour l’aménagement intérieur, le fondateur souhaitait communiquer sur la recherche, le développement international, le travail autour de la nature, le lien avec la ville, la proximité avec la mer et le parti pris de l’innovation de sa marque par le design. Nous avions 8 000 m2 à scénariser. Après 18 mois d’études, de prototypes, de plans techniques, de réunions de chantier et d’installations, l’ensemble a été mis en service en septembre 2016.

Jeux de lumière naturelle sur les panneaux de chêne.

Le chêne, traité en lames horizontales et de formes évolutives, dit le travail fait par l’industriel à partir de la nature et pour le développement de la nature.

Le laiton, nickelé, dit la rigueur et la précision de la recherche et du laboratoire.

Le corian dit la matière pure, sans aspérité et qui permet à la lumière de passer à travers et de suivre sa voie inaltérée.

La forme horizontale des décors, du mobilier et des luminaires dit la résonance à la forme du bâtiment et à l’ambition du groupe sur le temps long.

La forme du mobilier dit l’origine organique et naturelle des matériaux utilisés par le groupe et sa transformation vers des formes plus élaborées, comme celles issues de la recherche des laboratoires.

La forme des luminaires dit la légèreté, l’équilibre et la recherche.

Un mobile joue avec l’air et la lumière.

La forme du mobile installé dans le hall dit les valeurs de la marque, à travers seize images représentatives des métiers et des territoires du Groupe Roullier, dans une forme sèche tout en étant mobile. Les images tournent sur elles-mêmes, en fonction des déplacements dans le hall et disent la mobilité du groupe.

Et la plinthe de cinq centimètres qui part du sol pour tous les décors et les mobiliers, essentielle, dit la respiration avant le lancement du projet, la distance infime – 5 centimètres dans un espace de 8 000 m2 –  entre sa réalisation et l’équilibre trouvé dans la masse de la recherche.

La couleur aussi parle : le blanc du mobilier et des panneaux muraux dit la netteté du laboratoire, le noir de la signalétique et du tracé des décors dit le trait du chercheur et le blond du chêne dit le confort du résultat de la recherche.

L’entrée des laboratoires.

Le choix de chaque matière, de chaque forme et de chaque couleur repose tant sur les émotions qu’elles dégagent que sur notre connaissance sur leur souplesse et leur adaptabilité à nos intentions, grâce aux artisans qui vont savoir les travailler.
Ce projet est nôtre et, tout en même temps, devient autre dès que chacune et chacun de ses usagers va s’approprier nos intentions de matières, de formes et de couleurs et les faire siennes, en fonction de ses valeurs, de sa culture et de son projet.
Le design est indispensable à l’architecture. Ils écrivent tous deux le vocabulaire du bâtiment, de l’espace public et de l’espace privé, en traitant tous les usages et en donnant à chacun la possibilité, selon ce qu’il est, ce qu’il fait et ce qu’il veut devenir, de trouver sa place.