Codes de reproduction : la beauté sociale

Mais qu’est-ce que la beauté ? Dans la bouche du Professeur qui enseigne Euphrosine, elle prend une capitale et se décode en dialogue. Après Barbie (comme une provocation), les accessoires, le charme et ses origines, la beauté masculine et un de ses attributs, voici la beauté sociale.

Par Jean-Pierre Forestier, biophysicien et auteur du blog Beauté, Biologie et Philosophie.

– Bonjour Professeur.

– Bonjour Euphrosine.

– Professeur, les chemises blanches des messieurs devaient vous permettre de m’expliquer à quoi sert la beauté.

– Pour ne pas être aussi seul parmi les hommes que nous le serions dans le désert, nous avons besoin de repères sociaux. La beauté féminine y a la première place, notamment dans un couple.

– Ne me dite pas, Professeur, que la beauté d’une femme se limite à être au bras d’un homme, un homme à chemise bien blanche !

– Je n’irais pas jusque-là, Euphrosine, mais en termes de biologie de l’évolution, c’est le couple qu’il faut considérer et être au bras d’une jolie femme constitue un repère social pour un homme hétérosexuel, ainsi que la toilette qu’elle porte, les accessoires, les artifices et les rituels, l’ensemble constituant ce que j’appelle la Beauté sociale.

– Après la Beauté intrinsèque, la Beauté de la jeunesse, voici la Beauté sociale !

– Exactement Euphrosine, c’est le troisième niveau de la Beauté. Le plus soumis aux cultures et aux modes, mais sans doute la Beauté la plus utile pour l’espèce humaine, et plus exactement pour ses descendants, pour cette lignée dont nous avons déjà parlé.

La gens de vos Romains, Professeur !

– Justement, les Romains avaient la Nota censoria, la censure honteuse.

– … ?

– Qui pourrait se traduire par la « mort sociale »

– … !

– Tu as déjà entendu dire à propos de quelqu’un : « On lui a fermé toutes les portes et son existence fut perdue ». Celui qui avait ainsi été totalement rejeté se retrouvait dans un état de mort sociale.
Cette mort mena plus d’un au suicide, concluant la mort sociale par une mort physique. Mais contrairement à cette mort des chairs, la mort sociale n’était pas seulement la sienne, elle était également celle de son couple, voire de toute sa famille. La déchéance sociale conduisait même à la fin de sa lignée, car personne ne voulait épouser les fils ou les filles de celui qui avait été marqué par la censure honteuse.

– Et la Beauté sociale permet de garder ouvertes toutes les portes !

– Toutes les portes qui sont utiles pour prolonger sa lignée, oui Euphrosine.

– Mais n’est-ce pas qu’apparence et paraître ! Ostentation, dirais-je même !

– Peut-être, Euphrosine, mais moi je dis que la Beauté sociale révèle ce qu’il y a de plus noble en nous, de plus désintéressé, je veux parler du prolongement de notre lignée, et au-delà, le prolongement de notre société et de toute notre civilisation.
Si « le Beau n’est que la promesse du bonheur » comme l’a énoncé Stendhal et repris Baudelaire, cette promesse n’est-elle pas celle du bonheur de nos enfants ?

– Si je comprends bien, d’après vous Professeur, c’est par amour de ses enfants que la femme rehausse sa beauté et se couvre, ou plutôt que son époux la couvre de bijoux, et lui-même porte une chemise blanche !

– Pour affirmer son rang social, encore oui, Euphrosine.

– La femme n’a-t-elle pas envie d’être belle pour elle-même ?

– Seule devant son miroir, des rouges et des fards la font fantasmer. Mais pour se sentir en confiance et intégrée dans son groupe social, elle en respectera les codes de la beauté, comme elle en respectera les rituels.

– À ses vêtements, ses accessoires, ses artifices, Professeur, elle en rajoutera quand même « un peu » ! Un peu pour se sentir un peu plus forte, et un peu plus féminine, un peu plus séductrice, comme vous me l’avez expliqué à propos du regard.

– La plupart reste dans le « un peu », et d’autres le dépassent très largement !

– Je suis heureuse que cette remarque vienne de vous, Professeur. Mais alors ?

– Alors, nous verrons cela la prochaine fois. Cela te donnera le temps de réfléchir à tout ce que nous avons dit.